La chaise de biais

J’étais assise au comptoir d’un café et j’essayais de commencer ma journée. Il était trop tôt, et on s’était même trompé dans ma commande. Par la fenêtre, je reconnaissais des parents en route pour la garderie, l’année dernière derrière une poussette et ce matin à la marche lente, en tenant la main du même enfant. Le temps qui passe.

Je regardais les vols pour New York. Elle était de plus en plus loin, cette vie où j’existais de 14h à 5h, juste au nord de Harlem, là où les chiffres des rues sont un peu moins glamour.

-T’habites où?
-Sur Broadway Terrace.
-Broadway, wow.
-Non, Broadway Terrace, au coin de la 191e.

À la radio du café, au même moment, on a parlé de la montée du niveau des océans. Synchronicité. Le Lower East Side et Battery Park City iraient rejoindre l’Atlantide plus tôt que prévu, mais la ville était dans le déni et y’avait pas de plan. Mais qui a vraiment un plan catastrophe à New York? If I can make it there, I’ll make it anywhere, sinon je rentrerai à la maison : dans ma tête, c’était pas plus compliqué. « On a plus qu’un chapitre à vivre », ça avait toujours été le titre de ma stratégie catastrophe à moi.

Malgré mes écouteurs, barrière sociale s’il en est une, mon voisin m’a demandé avec intérêt sur quoi je travaillais.

Il s’est passé une seconde entre le moment où l’homme m’a adressé la parole et celui où j’ai arrêté ma musique. Une seconde dans le décor d’un ancien chapitre. « Ton père, c’était ton buddy », qu’on m’avait dit dans l’auto après les funérailles où je n’avais pas versé une larme, où j’avais livré mon homélie sans plier les genoux. Je n’étais allée le voir qu’une seule fois au columbarium, dans cet endroit ridicule au nom ridicule, décoré de fleurs en plastique et où les cubes vitrés à la hauteur des yeux valaient plus cher que ceux au-dessus. Je n’y étais jamais retournée parce que mon père n’y était pas. Je l’imaginais ailleurs, le coude gauche sur une table, la chaise de biais, ouvert sur l’autre, à jaser, intéressé et rieur. Intéressé et rieur et gentil, cette qualité dont on se moque, mais qui fait cruellement défaut à juste un petit peu trop de monde. Je reconnaissais son regard à l’occasion, dans d’autres visages, et j’espérais avoir le même quand les autres me contaient leurs histoires. Mon ennui ne tarirait jamais, je commençais à peine à le comprendre. Parce que j’avais combien de nouvelles pages à lui conter, réparties sur combien de vies depuis la fin de la sienne? Une vie derrière une poussette, une autre à la marche lente. Le temps qui passe, sans lui. J’avais la certitude que personne ne m’écouterait plus jamais comme il avait pris plaisir à m’écouter.

Mais comme un petit miracle, lui qui avait cette facilité à toucher les fils avec des inconnus avait légué à sa fille farouche et absolument inapte au small talk la même aisance à se laisser rejoindre par l’autre, pour peu qu’on emprunte une fréquence vraie. J’ai donc retiré mes écouteurs pour répondre à l’interlocuteur curieux, qui m’a souri, peut-être étonné que j’accepte volontiers d’engager la conversation. J’ai pensé à mon père, à son désir vrai d’en apprendre plus sur l’autre, et j’ai tourné ma chaise pour échanger une ou deux pages de vie avec mon voisin.

La chicane de vidanges

J’étais coincée entre un couple qui se chicanait pour une histoire de vidanges et un monsieur qui se râclait la gorge aux 15 secondes. Ça me semblait être un moment tout opportun pour m’enfuir loin dans ma tête. Mais l’engueulade au sujet du sac de poubelles sorti trop tôt et livré aux chats du quartier comme une all dressed extra kleenex allait trop bon train pour que je puisse m’égarer dans un retour sur les vacances.

La fille était pas super fière de son chum et semblait vouloir partager son sentiment à tout le monde autour. La tentative d’humiliation matinale fonctionnait somme toute moyen : les passagers se sacraient solide de la mésentente ménagère, même s’ils s’étaient fort probablement tous déjà retrouvés en pleine chicane de sac Glad, la cohabitation apportant un éventail assez commun de sujets potentiels de discorde. L’amoureux qui ridiculise l’autre avec mépris devant public trouve rarement des fans, que ce soit dans un wagon ou ailleurs.

OK, le concubin en question était peut-être vraiment clueless en gestion de déchets, ou juste clueless tout court. Peut-être faisait-il des bruits de bouche qui venaient à boutte de la petite patience depuis maintenant deux ans. Ou peut-être qu’il pleurait quand il buvait une bière de trop, scrappant systématiquement la soirée de tout le monde. Mais ce matin-là, il nous manquait les données et le contexte pour retourner les regards de connivence de la blonde tannée. Pis de toute façon, parmi les grandes morales de la vie amoureuse adulte, il y a celle qui dit que personne ne t’oblige à produire des poubelles avec quelqu’un qui te fait rouler des yeux chaque fois qu’il respire. Ou encore qui roule des yeux chaque fois que toi t’existes.

Il faisait chaud et je voyais mes cheveux gonfler dans la vitre à mesure que la ligne verte se déclinait en stations. Je n’avais pas pris le métro depuis près de deux mois, un record. Malgré tout, les gens n’avaient pas changé, personne ne m’avait manqué et on ne semblait pas s’être ennuyé de moi non plus. Mais de toute évidence, on avait annoncé quelque part que la fille à qui on pouvait raconter des anecdotes qui n’avaient pas de saint bon sens était de retour sur le réseau parce que le monsieur à la gorge sèche s’est mis à me parler de son chien.

J’ai souvent écrit sur les inconnus qui me parlent, parfois surprise, parfois découragée. Mais j’haïs pas ça que les gens me jasent, même quand ils sont précédés d’un hashtag. Je n’ai aucune idée pourquoi on m’adresse la parole; c’est pas comme si mon visage au neutre inspirait l’explosion de joie. D’ailleurs, je me méfie de ceux qui se baladent candides comme si, dans une oreillette, on leur contait une formidable sélection de jokes de trois gars qui rentrent dans un bar. Cela dit, je ne suis peut-être pas la seule à croire qu’une face qui sourit toute seule au repos, ben c’est pas une face legit, à preuve le nombre de personnes qui se confient sans méfiance à la fille à l’air le moins chaleureux du wagon, nommément moi. Bref, je les aime, vos histoires pis votre small talk cosmique. J’aime aussi vos chicanes de vidanges en public.

En trois phrases, j’ai su que le monsieur revenait de faire euthanasier son chien. J’ai reconnu sa solitude par son besoin de dire les vraies choses vite. Un monsieur seul qui jusque-là avait un fidèle ami, mais qui aujourd’hui rentrait chez lui avec sa peine et un collier. Les yeux fixés dans l’eau des siens, je me suis ennuyée de vos histoires pas d’allures qui me font rire à retardement, le temps de surfer deux-trois secondes sur un souvenir de petit compagnon de vie sur une table en inox, le soluté dans une patte, et une belle amie venue me rejoindre pour me tenir la main, même si un chat c’est juste un chat, et malgré les -30 à l’extérieur et la petite heure un dimanche matin. Dans une vie, y’a toutes sortes de formats de drames. Perdre son copain silencieux c’en est un, peu importe ce que diront les plus cyniques que moi (ça existe).

-Mon chien s’appelait Merlin. Comment c’qui s’appelait, ton chat?
-Gwendolyne.

Je suis sortie du métro en me disant qu’un billet de blogue sur mon chat américain ne m’attirerait aucune gloire. Quand même, je me suis râclé la gorge moi aussi au souvenir. Gwendolyne de Brooklyn, la toute dernière constance d’un bout de vie de 10 ans qui s’était affairé à s’effriter au complet cette année-là. Mon chat de New York comme une dernière page. C’était triste dans le temps, mais des livres, on en ouvre et on en ferme. L’important, je me suis dit, c’est d’aller au bout des histoires.

J’ai eu envie d’appeler ma constance de la dernière année et demie, pour une petite explosion de joie ponctuelle, pour garder ce livre-là bien ouvert, celui dont j’aimais vraiment tourner les pages, pleines de petits dessins pis de jokes pis d’affaires que j’avais pas faites depuis des années. J’ai eu envie de lui dire que je l’aimais. À la place, je l’ai écrit ici, juste pour avoir des témoins. Comme la fille des vidanges, comme toutte vous autres avec vos anecdotes d’Expo 67 ou d’intra-terrestres, que vous me partagez juste avant d’entrer dans le train. Ma déclaration d’amour n’était peut-être pas plus intéressante qu’une chicane de poubelles, mais j’ai jamais dit que mes histoires étaient plus extravagantes que les vôtres.

Le feu de Bengale

3h41. J’avais perdu le tour de faire de l’insomnie. À quel point j’allais être oblique le lendemain? Je cherchais la réponse dans les lignes du plafond.

Je me suis levée pour aller manger une tranche de pain blanc et un petit yogourt en regardant le parc. Seigneur, pour le glam de la scène on allait pouvoir repasser, malgré mes belles culottes. Ça aurait peut-être pu faire une annonce, t’sais comment le marché du yogourt est donc vaste et qu’une gamme de produits laitiers nocturnes pourrait certainement être la prochaine nouvelle affaire. Mais je ne maîtrisais pas assez bien la technique : faut avoir passé du temps sur des plateaux de pub pour savoir qu’il existe une seule bonne façon de se farcir d’une cuillerée de quelque chose. Comme si, devant sa tévé, on risquait d’avoir une opinion défavorable sur le maniement d’ustensile d’une comédienne. Mis à part des VP marketing assis dans une van de production à feuilleter des People entre deux prises, je n’avais jamais vu personne d’autre se pencher sur le sujet. Et parmi mes plus beaux souvenirs, il y avait certainement la madame d’une chaîne de fast food – mettons Burger King – qui avait flippé en prétextant qu’un figurant tenait son hamburger comme – et là je paraphrase – un vrai débile. C’est-tu moi, ou y’a beaucoup trop de gens qui se posent de bien mauvaises questions?

J’ai fait rouler mon fil Facebook du bout de l’index, malgré qu’on m’ait répété 100 fois de ne pas allumer d’écran en milieu de nuit. Le chocolat avant de me coucher, le café en après-midi, le travail à l’ordi jusque sur l’oreiller : au fil de mes années de gloire insomniaque, j’avais tout banni, avec pour seul résulat une frustration redoublée devant l’échec. Faque. Aujourd’hui sauf aujourd’hui, je dormais comme une personne presque normale, malgré la caféine. Des fois, c’est toute dans tête. Bonjour, mon nom est Tanya et je suis la poster girl de cet énoncé-là.

Sur fond bleu, j’ai vu passer un autre message de sympathie, le troisième depuis la veille. Un garçon avait perdu son amoureuse, et des amis communs publiaient sous son statut terrible de tristesse. Je ne connaissais ni la disparue, ni celui qui l’avait aimée, mais sa détresse me bouleversait. De quoi on meurt, à 37 ans et sans avertissement? J’ai cherché un peu, pour tomber sur un accident de voiture. J’étais à un degré de séparation du ça n’arrive qu’aux autres.

Voir un visage s’éteindre au terme d’une maladie déchire, mais apprendre que la personne avec qui on partage ses fins de journée est partie sur la pointe des pieds doit nous marquer le coeur d’un plus grand trait encore. Peut-être que cette dernière fois-là t’avais pas été drôle, peut-être que t’avais pas dit je t’aime, peut-être même que tu t’étais chicané. En même temps, on n’est pas Tom Cruise personne, à vivre comme si chaque jour était le dernier. Dans la vie comme en amour, ça en prend, des moments où on mange un petit sandwich au baloney en fixant le mur avant de se dire à tout de suite avec un bec vraiment très moyen. Et même si on se quittait toujours avec un pétard pis des cotillons, est-ce que ça changerait quelque chose à la profondeur du drame qui pourrait suivre? Same old : je n’avais aucune réponse à mes trop nombreuses interrogations.

Je pensais tellement fort que j’ai eu peur de réveiller tout le monde. Je me suis dit qu’on était programmé pour voir loin. Quand je serai grande, quand j’aurai fini l’école, dans un petit bout ça ira mieux, un jour je dormirai… Nos têtes nous crient avec la certitude d’un dictateur qu’on n’est pas supposé tirer sa révérence à 37 ans. C’est-tu une bonne affaire? La perspective d’une finitude ne motive pas tout le monde à aller être misérable sur l’Everest ou à se garrocher du haut d’une falaise bucolique pour risquer le flat de sa vie. Combien, au contraire, si on leur apprenait qu’ils allaient mourir ce soir, passeraient leurs dernières heures complètement paralysés à regarder des annonces de hamburgers même pas sur mute? J’ai eu envie de lever la main, seule dans le salon à maintenant 4h18. Comment une fille qui hait même les au revoir insignifiants pourra gérer celui qui précédera peut-être sa propre mort?

Mine de rien, le sommeil s’était lentement remis à m’envelopper la tête, et mes réflexions déjà lousses commençaient à s’évaporer dans toutes sortes de direction. L’affaire avec les réveils nocturnes, c’est que la tête fait 4000 tours/minute en première vitesse. J’étais passée d’observations sur le monde du yogourt à des théories sur l’éphémère avec Guillaume Lemay-Thivierge et son école de parachute en background. J’ai placé ma cuillère dans le premier panier d’ustensiles du lave-vaisselle et je suis retournée me glisser sous les couvertures contre un dos réconfortant. À quel point j’allais être oblique le lendemain matin? Je ne le savais pas. Mais je quitterais probablement ceux que j’aime en agrémentant mon babaille d’une couple de balounes et d’un petit feu de Bengale. Juste au cas.

Le saut

J’ai monté le volume de mes écouteurs comme si je devais couvrir le bruit ambiant du métro alors que j’avais le front dans les mains et les deux coudes sur mon bureau. J’ai sifflé un peu, chanté quelques notes, celles dont la hauteur passerait dans le beurre d’une pièce commune. Je n’avais pas d’ambiance à taire, juste le bruit sourd qui meublait serré l’espace entre mes deux oreilles, comme un gros set de chambre lette en bois massif qui n’avait pas d’affaire là. Je me tenais au bord de la falaise, le bout des pieds déjà au-dessus du vide. J’allais sauter, je le savais.

J’ai regardé ma boîte de cartes d’affaires en me demandant si elles pourraient servir à autre chose qu’à rien. J’en ai fait tourner une sur la table, du bout du doigt. Les premières notes d’Omega Dog m’ont rappelé que je n’en étais pas un, mais à force de se travestir et de jouer le jeu on finit par se dénaturer et perdre un peu de sa lumière. J’étais rendue au degré zéro du plaisir avec une envie quotidienne de me poser un oeil contre la pointe d’un stylo. Dans la mesure où je n’étais pas née dans l’un de ces endroits du monde où la perspective d’un certain bonheur entre 9 et 17h était impensable, et dans celle où j’étais propriétaire de certaines aptitudes qui seraient utiles ailleurs, je ne voyais plus de raisons de rester là où le goût de me poinçonner la rétine pour changer le mal de place était plus fort que tout le reste. J’ai besoin de mes yeux, t’sais, pis de ma lumière aussi.

Le jour où les mots Customer Relationship Marketing m’inspireraient n’allait jamais venir. Genre, jamais jamais, et c’était la chose dont j’étais le plus certaine à 9 h 07 ce matin-là. De ça, et du fait que ceux qui se gargarisaient de CRM parlaient un langage que je comprenais fuck all. Ou peut-être que je ne voulais pas le comprendre, comme m’aurait dit ma mère avec justesse. Ça tombait mal, parce que c’était la tâche qu’on m’avait donnée; j’étais, comme on dit dans le milieu, vraiment mal castée. Assise à la table d’un meeting – de tous les meetings –, les « ça s’en va drette au recyclage anyway » me bondissaient d’un bord à l’autre de la tête alors que les autres cherchaient sans cynisme aucun le bon jeu de mots pour attirer l’attention sur un damné publipostage qui s’en irait drette au recyclage anyway. Pour une rare fois, je manquais de mots. Mais sur le spectre de la vie, à un bout y’a le marketing relationnel, et à l’autre y’a moi et mon envie de glisser les mots hernie scrotale de 0,5 cm à quelque part dans les specs d’un téléphone intelligent. Juste pour voir.

J’ai feuilleté le dépliant qu’on m’avait donné pour m’inspirer. Mon cerveau n’arrivait même pas à en déchiffrer le lettrage, comme pour se protéger. Ce qui manquait dans la formule de politesse édulcorée au bas des forfaits Internet à rabais, c’était certainement un message d’excuses pour la pauvre madame en jaquette qui s’était rendue aussi loin dans sa lecture, réconfortée peut-être par le sentiment d’exister parce que la fausse lettre pliée en trois lui était adressée. Sur cette pensée, j’ai fait voler le pamphlet dans ma poubelle bleue, comme un avion de carton glossy paré d’un slogan convenu. Bullshit Air.

J’ai fermé les yeux pour empêcher les fils de se toucher dans un arc électrique. Y’avait pas cinquante-si solutions, et plus vraiment de si dans l’équation : ma switch n’était pas seulement à off, elle n’existait même plus. J’allais finir par perdre mon sens de l’humour, à preuve le billet de blogue que j’étais en train d’écrire. Mon voisin de cubicule a pris sa guitare, le temps que je me rappelle d’où je venais et que je me demande quessé que j’faisais là. Faut gagner sa vie, oui, mais y’a plus que de pouvoir se payer un filet mignon sans pincement. Parce que le manger sans sourire, ça ’pas l’yâb rapport non plus. J’aimais pas trop la viande, mais je trouvais l’image plus forte que celle de pouvoir s’offrir un tartare avec frites et salade. J’aurais pu écrire un deuxième Old Fashioned, remarquez, au prix où sont rendus les drinks. C’est ben effrayant.

J’ai pensé à un couple mal assorti de qui on se demanderait qui allait partir le premier, et où le quitté lancerait un « J’allais le laisser de toute façon ». Le CRM et moi, on s’haïssait ouvertement. En même temps, quissé qui l’aimait? J’avais essayé la pensée take the money and run, mais je n’avais même plus le goût de courir, à part sur un tapis roulant le midi pour me désembrouiller la tête. Pis par la fenêtre du gym, ben je voyais mon bureau, fa-que.

Je corrigeais un courriel aux clients pour la 8e fois, pas loin d’être persuadée que je ne savais plus écrire, quand le téléphone a sonné. J’ai déplié un trombone pour en faire un S, j’ai respiré un grand coup et, enfin légère, j’ai sauté.

FullSizeRender-2

La photo

Celui qui l’avait prise ne s’en souvenait probablement pas. C’était la photo simple d’un geste quotidien, celui d’une mère assise sur le bord d’un bain en train de brosser les cheveux de son enfant. Sur l’image, mon amie Mélodie, et debout entre ses genoux, sa fille, blonde comme elle.

J’avais vu passer la photo il y a une dizaine d’années et ne l’avais pas oubliée. Peut-être parce que la scène était plus grande que ce que l’objectif avait capté. De l’autre côté de la caméra, il y avait l’homme qui avait voulu figer pour toujours un bout de leur vie et de la douceur qui remplissait la pièce. Je l’imaginais accoté contre le cadre de porte de la salle de bain, témoin d’une routine qui un jour n’existerait plus. Il y a dans les petits gestes un amour plus grand que le temps, même quand ils tirent les cheveux de la nuque.

Moi, il y avait presque 6 ans que je faisait des selfies avec la mienne, ma petite fille brune comme moi, et presque autant d’années que je lui brossais les cheveux entre mes genoux sans une seule photo du geste.

Un mouvement a attiré mon attention à gauche. L’arbre devant la fenêtre se balançait avec le vent en nous regardant. J’ai fait une tresse dans des cheveux fins et droits, donné un bec dans un petit cou chaud. Elle s’est tournée et m’a dit qu’elle m’aimait plus que les dauphins. Plus tard, de cette époque elle aurait surtout des photos de nos visages à l’envers et en gros plan, mais j’étais assez certaine qu’elle porterait en elle toute la douceur et les rires qui avaient inondé cette pièce-là.