La lutte

J’ai retiré mes écouteurs, pas parce la musique me tannait, mais parce que je commençais à avoir mal aux oreilles à force d’avoir voulu couvrir le bruit ambiant toute la journée. La femme à côté de moi lisait un recueil de pensées comme ceux qu’on laisse traîner à côté du bol de toilette, l’endroit tout indiqué pour réfléchir au sens de l’existence. Mes voisins de gauche jasaient de politique internationale avec un éventail de connaissances comparable à celui dont je ferais preuve si je décidais soudainement de me commettre sur le thème des sciences appliquées ; « C’est pas pour être raciste » est rarement une bonne entrée en matière, surtout quand les oreilles autour sont nues. Mais c’est pas comme si mon espoir en l’humanité était totalement intact non plus. Cette virginité-là, je l’ai perdue en pantalons Au Coton dans un aréna de Farnham. J’ai remis mes écouteurs.

J’avais 10 ans. Mes parents étaient partis découvrir l’Europe et m’avaient laissée en Ontario chez un oncle cultivateur. Le séjour s’annonçait bucolique et soyeux de bébés chats, jusqu’à ce qu’on m’annonce que toute la famille irait voir un gala de la WWF dans la ville voisine. Pour une raison inexpliquée, le projet m’emballa. Mais si je voulais vivre mon baptême de lutte, je devais apparemment mériter mon billet. OK, OK, good. Et qu’est-ce que je devais faire pour avoir cette chance-là? demandai-je les yeux brillants. Donner un coup de main dans le poulailler industriel voisin. Facile! Surtout dans un monde pas encore tout à fait technologique. Parce qu’une simple recherche avec les mots « poulailler industriel » aurait rapidement remis ma joie en perspective.

Le lendemain matin, en shorts 80s à l’entrée d’un bâtiment gigantesque duquel émanait une odeur fétide, j’ai ravalé ma joie en même temps que mon innocence. On avait certainement samplé ces cris de poules là pour la trame sonore d’Evil Dead. En d’autres mots, le projet n’était pas d’aller flatter des poussins, mais bien de conduire des poulets rétifs à leur dernière tombola. Toute la journée, j’ai charrié des oiseaux. Dans un parfum de mort, quatre poulets par main avec une patte raide entre chacun de mes petits doigts de banlieue, je me suis fait picosser les cuisses par les animaux en panique et j’ai retenu mes larmes jusqu’au soir.

Comme on m’avait habilement caché la nature de l’activité, je n’étais soudainement plus certaine de vraiment vouloir aller à la lutte – ou même à Farnham. Mais je l’avais gagné, mon gala. Peut-être serait-il tout de même scintillant de glam et de magie comme je l’imaginais? Impossible, me dis-je avec la naïveté de l’enfance qu’il me restait encore, que mon lendemain accote le degré de désagrément que je venais de vivre là. Deux journée de marde consécutives, au propre comme au figuré? Non, ben non.

Après réflexion, des décennies plus tard, une soirée entourée d’adultes gorlos équipés de doigts en styromousse qui lancent des verres de Labatt 50 à des lutteurs en lycra était certainement la récompense appropriée pour avoir participé à un génocide de volaille.

– Mais, est-ce que c’est vrai, mononcle?
– Non!
– Pourquoi les gens sont fâchés pour vrai, d’abord?

Ce soir-là, les mains proverbialement tachées du sang de centaines de petits poulets blancs, j’ai été témoin de batailles de fans en manteaux de jeans acid wash au pied d’un ring où Randy Savage et Jake The Snake Roberts se garrochaient sur des câbles. J’ai aussi vu Farnham. Mais ce fut par-dessus tout une leçon de vie inestimable : pour la toute première fois, je doutai de la compétence des grandes personnes, et avec raison.

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Le printemps par en avant

Quand j’étais petite, les fruits venaient avec des obstacles. Raisins et clémentines, c’tait pas l’yâb fun à manger, mais quand même plus que le melon d’eau, avec ses deux formats de pépins à gérer. Mais c’était ça qui était ça, parce qu’un fruit c’était un fruit, et on n’avait pas vraiment de doutes au sujet de ces choses-là. En échange, il n’y avait pas de pépins quand on jouait dehors : pas de casques ni trop de signalisation à respecter à vélo, et beaucoup de liberté pour se patenter des obstacles avec des bouts de bois de fond de cabane.

J’étais perdue dans des pensées de vieille personne tandis que je calais un verre d’eau, accotée contre le lavabo. Le passé qui se déphase progressivement en plus de s’éloigner, je l’avais pas vu venir. Comme si le mien allait toujours rester actuel, jamais risible ou ancien dans ses références, alors que j’ai grandi avec des ordinateurs à la mémoire aussi impressionnante que celle d’un document Word. D’autant plus que les gens roulent emballés dans du bubble wrap depuis un bon moment; il y a deux décennies déjà, on avait eu beaucoup de plaisir à compléter la ligne « À vélo sans casque… » avec des variantes plus chrétiennes que son « es-tu tombé sur la tête? ». Ainsi, le temps où on faisait des wélés dans la garnotte nu-tête et à une main en se gelant les autres doigts avec un popsicle est probablement révolu tout partout. Autres temps, autres accidents. Et autres mots, aussi, parce que wélé, je ne sais pas si ça dit encore quelque chose à quelqu’un.

L’eau me gelait les dents et avait le goût de celle qu’on boit à même le tuyau d’arrosage, en été. C’était probablement ce qui m’avait envoyée dans mes réflexions nostalgiques. Au passage, je me suis demandé si les gens faisaient encore ça aussi, « boire de la hose », depuis qu’on casse notre fun avec des avis de coliformes.

J’ai laissé tomber mon verre de plastique dans le lavabo en regardant un voisin descendre son vieux chien dans la ruelle. Ça faisait pour aujourd’hui, les vieilles affaires, par en arrière. Je n’avais pas vraiment de regrets, alors pourquoi me tenir là-bas. Mine de rien, avec les années on finit par les déposer, les vieux bagages, ceux qu’on n’osait pas lâcher par peur du fracas, alors qu’en vérité ils glissent finalement sans bruit et sans rien briser, comme de la vaisselle de plastique dans un évier. J’étais légère comme une espadrille qui coûte cher.

Le printemps était enfin là, ça se lisait dans le gros banc de neige qui occupait de moins en moins mon balcon arrière que je n’avais, encore une fois, pas pelleté de l’hiver. On était à nouveau de l’autre bord de l’Arctique, avec l’impression que ça avait passé vite, alors qu’en plein dedans, la seule chose qui n’avait pas semblé nous glisser entre les doigts avait certainement été le temps.

Le temps des lilas et des cerisiers à New York, lui, approchait. J’ai pensé à mon père qui avait patiné comme un dieu sous ceux de Central Park, dont il avait fait trois fois le tour avec un style et une vitesse impossibles pour un homme de son âge et de son gabarit, laissant des sourires impressionnés sur son passage. Lui, avant la maladie, et moi, pareille comme à 8 ans devant l’homme le plus fort du parc. Pendant combien de temps les gens nous manquent? Je pense qu’on se pose la question jusqu’au bout de celui qu’il nous reste. Il y a des nostalgies contre lesquelles on ne peut pas se battre.

J’avais à peine couru à l’extérieur cet hiver et j’avais hâte de sortir, pour partir trop vite par là-bas, me balayer la tête pendant tout un album, les pieds en contrepoint avec le souffle. Je me tannais de courir en fixant le mur sous une télé pleine de madames en fond de teint haute définition. J’avais pris l’air pendant les Fêtes, avec l’illusion que les effets d’une fondue ou autres soupers commandités par Martin Picard se seraient dissipés en collant de lycra dans l’air glacial. Mais chaque fois je m’étais demandé si ce n’était pas en fait un acte manqué, parce qu’au final j’avais voulu mourir tout le reste de la journée, la face de la même couleur qu’un céleri de Bloody Mary. Comme les choses dehors, il était temps de changer de teint.

J’ai mis Reflektor dans mes oreilles parce que j’avais un trajet en tête : au bout du parc, je serais rendue à Flashbulb Eyes, aux terrains de tennis à Normal Person, et j’arriverais chez moi sur Joan of Arc. J’avais envie de suivre un chemin au lieu de courir sur place à une intersection en me demandant vers où aller ou en tournant en rond pour revenir sur mes pas. La vie, tsé. Je me suis tenue quelques secondes dans le haut de mon escalier, le temps de sentir l’air frais monter. On gelait autant qu’en février, mais ça ne comptait plus. J’ai pensé à « À vélo sans casque… c’est quoi ton ostie de problème? » Les trottoirs étaient enfin dégagés, sans pépin ni obstacle. J’ai noué ma clé après mon soulier gauche et j’ai filé sous les yeux du printemps, par en avant.

L’incendie

« Un frein d’urgence actionné cause un ralentissement de service sur la ligne orange. D’autres messages suivront. »

J’espérais que non, parce que la distorsion du haut-parleur juste au-dessus de ma tête m’avait laissé un seul tympan fonctionnel. Quelques instants plus tard, on a annoncé que le service reprendrait dans 30 minutes et la femme avec qui je partageais le poteau m’a lancé un « When? » beaucoup trop hébété pour la situation.

J’ai mis quelques secondes avant de répondre, le temps d’émerger du vortex temporel dans lequel elle m’avait projetée malgré elle, un transfert instantané dans l’une des anecdotes préférées de mon père. Comme personne ne la réclamerait plus, il était temps de l’écrire.

**

Je parlais au téléphone dans le courant d’air salvateur du climatiseur quand j’ai vu monter la fumée devant la fenêtre du salon.

— Maman, je te rappelle.

Faut croire qu’en 27 ans de vie on n’avait pas encore vu assez de messages de prévention parce qu’on a ouvert la porte d’entrée dans un grand geste imbécile mais assuré. Notre voisin — qui avait fait la même chose, mais qui avait au moins l’excuse d’être natif d’un pays où ces messages d’intérêt public n’avaient pas roulé en boucle pendant les années 80, surtout celui de l’incendie de sapin de Noël qui décimait une famille amérindienne au complet — nous a annoncé en se grattant que l’appartement sous le nôtre flambait. Rien que ça.

On peut vraiment se surprendre dans de véritables situations de stress. De toute évidence, le système nerveux est fait pour dealer avec les vrais problèmes, pas les paniques imaginaires où c’est son cousin, le hamster sur l’acide, qui prend alors les rênes sans rien gérer pantoute.

Donc, en moins d’une minute et dans le calme, on a encore fait ce qu’il ne fallait pas faire : ramasser le plus de stock possible, fouiller dans le garde-robe pour prendre le transporteur placé trop haut et forcer le chat à l’intérieur. Le gros bon sens demandait aussi qu’on sorte par l’escalier de secours, mais la perspective de se détacher du mur arrière avec la totalité de la vieille structure en fer nous souriait comme un clown de cirque. On a donc dévalé les marches de l’immeuble avec un ordinateur, quatre ou cinq guitares et un chat américain dans une boîte.

En août, New York a fâcheusement tendance à se rapprocher du soleil; à preuve, trois camions de pompier sont arrivés pour assurer un relai aux équipes qui fondaient déjà dans leurs salopettes. Cette journée s’annonçait tropicale, mais avec de très mauvais cocktails au jus de tomates.

On a attendu tout l’après-midi sur le trottoir, assis sur des étuis de guitare, en riant un peu de ce nouvel épisode de l’aventure. L’impression que cette ville voulait se débarrasser de nous était de plus en plus forte. Mais c’est ça l’affaire avec New York, ce que les touristes et les idéalistes et les obstineux ou autres avocats du diable ne comprennent pas : dans toute sa magnificence, la Grosse Pomme n’est pas tant que ça human friendly. Chaque jour est un petit combat, et Manhattan sait comment nous retenir dans le ring avec ses verticales majestueuses. Comme dans I want to be a part of it, New York, New York.

En fin d’après-midi, quand les pompiers sont partis et que l’employé de la Croix-Rouge est venu nous voir, on a pensé que la ville venait justement de peut-être gagner un round.

— Where do you guys live?

— 3C.

Regard qui regarde pas ben.

-OK. We’ll walk you upstairs.

Dans l’entrée de l’immeuble privé d’électricité, on a glissé sur des fragments de vitre. Les murs étaient tachés de suie, l’eau coulait en cascades dans l’escalier, des portes avaient été défoncées et l’odeur de feu nous étouffait. Au 2e, on a jeté un coup d’oeil au salon de l’appartement sous le nôtre : rien ne semblait avoir été déplacé, mais tout était carbonisé. Sur place. Ça augurait moyen pour l’étage au-dessus. On est entrés chez nous de la même façon qu’on entre chez le gastroentérologue pour un examen colorectal.

On avait mis la hache dans le bas de tous nos murs et les meubles avaient été déplacés sans gants blancs. Mais surtout, toutes les fenêtres, cadres inclus, avaient été arrachées. En passant devant la quiche que j’avais cuisinée le matin même et qui décorait une partie du plancher de la cuisine, j’ai eu envie de rire tellement c’était too much. Seigneur, New York, t’avais pas besoin de te donner à ce point-là. Mais encore une fois, tu ne décevais pas.

Pendant un appel à des amis qui allaient nous héberger pour quelques jours, le temps qu’on fasse des boîtes dans une chaleur suffocante parce que tous les trous de fenêtres seraient placardés, on a presque décidé que ça y était, qu’il était temps de mettre fin à ce chapitre de nos vies. Mais le propriétaire venu constater les dégâts nous a offert un autre logement en attendant que ce côté de l’immeuble soit remis à neuf. Dans les dents, Manhattan! On n’était pas faits en guimauves de feu de camp.

On a verrouillé la porte sur une zone sinistrée où il faisait à peu près 55 degrés. Il ne restait pas grand-chose à voler, si ce n’est que les meubles IKEA qui n’avaient pas trop souffert. Un fameux de beau butin scandinave à moitié rôti. On s’en allait chercher le chat laissé chez le concierge, les vêtements tachés et trempés, mais la mine pas encore trop déconfite (ça nous frapperait le soir même), quand notre voisin d’en face est sorti de chez lui, hébété comme la madame dans le métro.

— What happened?

— Uh… there was a fire, man.

Pause. Regard de poisson d’eau douce.

— When?

**

Cue mon père qui ne peut plus s’arrêter de rire et qui répète la question comme si c’était la chose la plus absurde à avoir été prononcée au cours de la dernière décennie. Lancé pieds nus dans l’eau et les éclats de vitre, c’était le genre de punch simple et efficace que j’aurais aimé avoir écrit. Je me contenterais d’avoir eu un rôle dans cet autre épisode new-yorkais — avec une couple de one-liners pas pires en plus — mais surtout de la chance de le raconter des dizaines de fois pour faire résonner le rire vrai de mon père.

Le kanji

Elle m’a lancé un regard qui portait tout le mépris du monde, ou au moins celui d’un hémisphère au complet. Moi, j’avais simplement demandé si je pouvais essayer le chandail. Considérant que son travail consistait, justement, à me permettre de faire l’essai d’un vêtement, c’était spécial qu’elle m’en tienne rigueur à ce point-là. Quand elle s’est tournée, j’ai vu sur son cou un tatouage récent, encore noir. J’ai trouvé étrange qu’une fille avec un crucifix dessiné à l’arrière de la tête m’évalue avec autant de condescendance, mais en même temps, les bases de la religion m’échappent un peu. Reste que je suis pas mal certaine que l’agneau de Dieu, celui qui enlève le péché du monde – ou au moins d’un hémisphère au complet – n’aurait pas tripé.

Comme sur mon cou à moi il y a un signe censé me rappeler que la paix de l’esprit est la clé de ben des affaires, j’ai répondu à sa mauvaise attitude avec un sourire, en me disant qu’elle allait un jour regretter son tatouage elle aussi. C’était pas la plus excellente des vengeances, ni non plus une garantie, mais j’avais juste une heure de lunch et pas vraiment le temps de penser à une revanche plus efficace. Puis, c’était aussi le genre de réflexion qui, si elle s’étirait, allait à l’encontre de ce que j’avais fait graver sur mon quatrième de couverture.

J’avais 23 ans, et Julie aussi. On avait parcouru avec beaucoup de sérieux un recueil de kanjis japonais dans ce qui faisait office de salon à son 2 1/2, avec la certitude que se marquer du sceau d’un idéal à atteindre était une bonne idée. Julie est décédée huit ans plus tard, d’une embolie pulmonaire. C’est absurde de mourir avant même d’avoir eu le temps de regretter un tatouage, ou encore avant d’avoir réalisé l’objectif qu’il devait nous rappeler, même s’il fallait se regarder avec deux miroirs pour le voir. Plus simplement, c’est absurde de mourir à 31 ans.

J’ai croisé à nouveau les yeux de la vendeuse tandis qu’elle ouvrait la porte. Regarder l’autre de haut quand on est le plus petit des deux demande beaucoup de conviction, et je n’ai pu qu’admirer sa volonté, sans toutefois comprendre. J’avais dans les mains un coton ouaté, c’était peut-être là la source de son mépris? Mais la paix de l’esprit, ça passe aussi par un chandail doux. Ainsi, comme je respectais ma ligne de conduite, j’allais certainement pas me bâdrer avec sa ligne à elle, surtout qu’elle traçait une croix.

De retour au travail, j’ai mis le pied dans l’ascenseur en même temps qu’un homme pressé d’appuyer sur le bouton de son étage, puis sur celui pour fermer les portes. Clic pis clic. Il avait pourtant vu, comme moi, la madame qui approchait. Je l’ai regardé, surprise, avec l’envie de lui lancer le « You know, we’re living in a society » qui me vient beaucoup trop souvent en tête. À la place, j’ai bloqué les portes avec ma jambe droite, et la femme est entrée. La vendeuse et lui dans la même demi-heure. Sérieusement, les gens, pour la vie en commun, on pouvait repasser.

Le soir, dans mon nouveau chandail, j’ai écrit tout ça en pensant à mon amie d’université. Regretter ce tattoo-là n’avait pas tellement d’allure, malgré son design qui datait (mais quand même moins qu’un barbelé). On s’était toutes les deux fait marquer à un endroit qui ne nous était pas visible, comme si on avait voulu que ce soit les autres qui nous rappellent ponctuellement à l’ordre en nous questionnant sur la signification du dessin. Elle sur l’omoplate, moi sur la nuque, une porte sur ma tête et sur le reste, à ouvrir avec le bout des doigts. Les années qui m’éloignaient de son décès auraient pu mener au regret de ce kanji, mais valait mieux choisir d’atteindre encore et encore le but qu’il incarnait. Pour l’heure, j’étais pas mal en paix. Dans mon chandail, et dans mon cou.

Salut Julie.

 

Le cycle

Apparemment, des jeunes se sont amusés à escalader ma voiture au milieu de la nuit. Enfin, c’est pas pour discriminer, mais les cris heureux entendus à 2 h ne semblaient pas émaner de mon propriétaire portugais ou de sa femme, même s’ils sont de nature guillerette. Ce matin, le toit et le capot sont incurvés comme si deux danseurs en ligne du centre communautaire en face de chez nous avaient pratiqué leur bachata sur ma hatchback.

Je ne suis pas colérique, et surtout, je suis calme devant la marde. « Bon. Tabarnak. » a été ma seule réaction. J’ai pensé au sigle de Mercedes que j’avais passionnément arraché, à 15 ans, pendant l’une de ces virées de banlieue où on ne faisait rien d’autre que déambuler dans les rues avec des mauvaises bières dans nos sacs à dos. Ou à la fois où on avait peut-être ou peut-être pas versé des Molson Dry, justement, dans une décapotable (allo maman). J’ai appelé ma compagnie d’assurances en me disant qu’au moins il y avait encore des jeunes qui jouaient dehors.

Pendant mes années d’université, alors que j’habitais à Pointe-St-Charles, un bruit en continu sous ma fenêtre m’avait réveillée en pleine nuit. Coudonc c’est ben tannant, que je m’étais dit. Comme cette nuit. Le lendemain, ma voisine était entrée chez moi en me lançant « Calice, quelqu’un a scié mon cadenas de vélo! » Woups. 
On s’était quand même tapé sur les cuisses en m’imaginant m’énerver dans mon lit tandis qu’un moustachu se sauvait sur un petit bicycle de fille. Ma voisine mesurait 4’10.

Des fois le vandalisme c’est drôle. Je cite en exemple ce bosquet de la colline parlementaire taillé en forme de pénis par un plaisantin. J’ai souri face à mon char aussi. Plus jeune, on a moins le sens des possessions, et pas vraiment la notion de conséquences. Des fois c’est une belle affaire, et je n’ai pas trouvé comment en vouloir à ceux qui avaient abusé de mon auto. C’est quand même juste un char, et le cycle qui recommence; à chacun sa place sur la roue qui tourne. Et c’est bon que madame Susie, la madame d’AXA qui me vouvoie malgré qu’on ait le même âge, serve à quelque chose.

On finit par s’ennuyer du temps où prendre un risque simple et con nous faisait sécréter une quantité magique d’endorphines. Adulte, c’est plus compliqué. J’ai pas tant envie de sauter en parachute ou de grimper une montagne orientale. J’ai ben le goût de grimper une clôture de piscine publique pour y plonger en bobettes, par exemple.