La chicane de vidanges

J’étais coincée entre un couple qui se chicanait pour une histoire de vidanges et un monsieur qui se râclait la gorge aux 15 secondes. Ça me semblait être un moment tout opportun pour m’enfuir loin dans ma tête. Mais l’engueulade au sujet du sac de poubelles sorti trop tôt et livré aux chats du quartier comme une all dressed extra kleenex allait trop bon train pour que je puisse m’égarer dans un retour sur les vacances.

La fille était pas super fière de son chum et semblait vouloir partager son sentiment à tout le monde autour. La tentative d’humiliation matinale fonctionnait somme toute moyen : les passagers se sacraient solide de la mésentente ménagère, même s’ils s’étaient fort probablement tous déjà retrouvés en pleine chicane de sac Glad, la cohabitation apportant un éventail assez commun de sujets potentiels de discorde. L’amoureux qui ridiculise l’autre avec mépris devant public trouve rarement des fans, que ce soit dans un wagon ou ailleurs.

OK, le concubin en question était peut-être vraiment clueless en gestion de déchets, ou juste clueless tout court. Peut-être faisait-il des bruits de bouche qui venaient à boutte de la petite patience depuis maintenant deux ans. Ou peut-être qu’il pleurait quand il buvait une bière de trop, scrappant systématiquement la soirée de tout le monde. Mais ce matin-là, il nous manquait les données et le contexte pour retourner les regards de connivence de la blonde tannée. Pis de toute façon, parmi les grandes morales de la vie amoureuse adulte, il y a celle qui dit que personne ne t’oblige à produire des poubelles avec quelqu’un qui te fait rouler des yeux chaque fois qu’il respire. Ou encore qui roule des yeux chaque fois que toi t’existes.

Il faisait chaud et je voyais mes cheveux gonfler dans la vitre à mesure que la ligne verte se déclinait en stations. Je n’avais pas pris le métro depuis près de deux mois, un record. Malgré tout, les gens n’avaient pas changé, personne ne m’avait manqué et on ne semblait pas s’être ennuyé de moi non plus. Mais de toute évidence, on avait annoncé quelque part que la fille à qui on pouvait raconter des anecdotes qui n’avaient pas de saint bon sens était de retour sur le réseau parce que le monsieur à la gorge sèche s’est mis à me parler de son chien.

J’ai souvent écrit sur les inconnus qui me parlent, parfois surprise, parfois découragée. Mais j’haïs pas ça que les gens me jasent, même quand ils sont précédés d’un hashtag. Je n’ai aucune idée pourquoi on m’adresse la parole; c’est pas comme si mon visage au neutre inspirait l’explosion de joie. D’ailleurs, je me méfie de ceux qui se baladent candides comme si, dans une oreillette, on leur contait une formidable sélection de jokes de trois gars qui rentrent dans un bar. Cela dit, je ne suis peut-être pas la seule à croire qu’une face qui sourit toute seule au repos, ben c’est pas une face legit, à preuve le nombre de personnes qui se confient sans méfiance à la fille à l’air le moins chaleureux du wagon, nommément moi. Bref, je les aime, vos histoires pis votre small talk cosmique. J’aime aussi vos chicanes de vidanges en public.

En trois phrases, j’ai su que le monsieur revenait de faire euthanasier son chien. J’ai reconnu sa solitude par son besoin de dire les vraies choses vite. Un monsieur seul qui jusque-là avait un fidèle ami, mais qui aujourd’hui rentrait chez lui avec sa peine et un collier. Les yeux fixés dans l’eau des siens, je me suis ennuyée de vos histoires pas d’allures qui me font rire à retardement, le temps de surfer deux-trois secondes sur un souvenir de petit compagnon de vie sur une table en inox, le soluté dans une patte, et une belle amie venue me rejoindre pour me tenir la main, même si un chat c’est juste un chat, et malgré les -30 à l’extérieur et la petite heure un dimanche matin. Dans une vie, y’a toutes sortes de formats de drames. Perdre son copain silencieux c’en est un, peu importe ce que diront les plus cyniques que moi (ça existe).

-Mon chien s’appelait Merlin. Comment c’qui s’appelait, ton chat?
-Gwendolyne.

Je suis sortie du métro en me disant qu’un billet de blogue sur mon chat américain ne m’attirerait aucune gloire. Quand même, je me suis râclé la gorge moi aussi au souvenir. Gwendolyne de Brooklyn, la toute dernière constance d’un bout de vie de 10 ans qui s’était affairé à s’effriter au complet cette année-là. Mon chat de New York comme une dernière page. C’était triste dans le temps, mais des livres, on en ouvre et on en ferme. L’important, je me suis dit, c’est d’aller au bout des histoires.

J’ai eu envie d’appeler ma constance de la dernière année et demie, pour une petite explosion de joie ponctuelle, pour garder ce livre-là bien ouvert, celui dont j’aimais vraiment tourner les pages, pleines de petits dessins pis de jokes pis d’affaires que j’avais pas faites depuis des années. J’ai eu envie de lui dire que je l’aimais. À la place, je l’ai écrit ici, juste pour avoir des témoins. Comme la fille des vidanges, comme toutte vous autres avec vos anecdotes d’Expo 67 ou d’intra-terrestres, que vous me partagez juste avant d’entrer dans le train. Ma déclaration d’amour n’était peut-être pas plus intéressante qu’une chicane de poubelles, mais j’ai jamais dit que mes histoires étaient plus extravagantes que les vôtres.