La mécanique des fluides

Mon ami scientifique m’a dit un jour que l’amour était une simple question de petits jus — endorphines, phéromones et whatnot — en dosage et synchronisme parfaits. À l’époque, plus naïve et presque fleur bleue – oui oui –, cette explication du « pourquoi on tombe en amour » ne m’avait pas plu du tout.

C’est drôle comme on se sécurise en analysant et en expliquant ce qui nous entoure, mais comment, en matière d’amour, on préfère ne pas connaître la biologie derrière le sentiment. Probablement parce que ce qui est triste dans l’équation chimique amoureuse, c’est qu’elle sous-entend que la source desdits petits jus finira un jour par se tarir, marquant la fin du feu d’artifices qu’on a pour l’autre. Moi je dis chou : cette explication est le plus creux des downers.

Quand on demande à un vieux couple le secret de sa longévité, il y a autant de réponses que de lovers. En même temps, combien d’entre eux ont en fait la source à sec, parfois même sans le savoir? À force de jours, l’amour fait place à toutes sortes d’autres belles choses, amitié profonde et complicité. Ou consommation excessive et quotidienne de vin rouge, pour faire passer la pilule, peut-être. Mais y’en a-tu qui se rendent au bout du chemin encore en amour, prouvant ainsi que dans la mécanique biologique il y a une part de mystique ou d’âme ou d’on ne sait pas pis on veut pas le savoir parce que c’est juste beau?

Cela dit, mettons qu’il y a les petits jus. Moi, j’avance que la certitude que l’autre est tout là en même temps que soi, c’est au centre de l’oeil qu’on la trouve. Faut avoir vécu soi-même l’élu qui a cessé d’aimer pour reconnaître que la mesure des fluides se trouve dans la pupille qui, elle, est branchée sur le coin de la lèvre qui danse au rythme de nos mots les plus ordinaires et de nos blagues les moins réussies, sur le sourcil qui s’amuse d’un rien et le corps totalement accessible, ouvert, qui s’allume quand on le touche, même du bout des doigts pour passer derrière le comptoir parce que les toasts sont prêtes. Le regard qu’il faut surveiller, c’est celui qu’on partage à distance, de bord en bord d’une pièce pendant un apéro interminable, celui qui porte tout le désir et les « je suis à toi » clairs comme le jour. Ce regard-là. Quand l’oeil fuit, quand il se voile ou s’éteint, c’est parce que c’est la fin des petits jus. Envoyez ça à Nature, je suis vraiment certaine de ma shot.

Malgré mon constat savant, la cynique que je suis, pourtant aussi fort sceptique, choisit quand même et encore d’embrasser la part d’inexplicable de la fable, même si mon ami scientifique m’apprend toujours de grandes choses, comme l’existence des hernies scrotales (but just don’t google it, comme on dit). Mon nom est Danielle et je pense que toute explique pas toute.

Bonne Saint-Valentin. Checkez vos pupilles.