Le verre de jus

Sur St-Michel, le soleil du matin était neuf et éclatant. Je n’aurais jamais pensé commencer un texte avec une allusion à l’un des boulevards les moins charmants de Montréal, mais des fois c’est comme ça, la beauté visite de drôles d’endroits.

L’autobus était presque vide et son chauffeur, souriant. Quand je suis sortie, au métro Joliette, il m’a souhaité bonne journée. Quelque chose dans la familiarité, mais aussi l’intention, m’a redonné espoir en la nature humaine urbaine. Parce que son salut était un babaille franc et gentil, comme on les lance à ceux qu’on aime avant de partir le matin. Ça m’a coloré le cœur pendant un instant, parce que j’avais quitté une maison endormie, sans dire un mot à personne et sans que personne ne me dise un mot. Puis, le gars devant moi a mis fin à ma rêverie tranquille en se plantant solide dans la slush des escaliers roulants. Des fois c’est comme ça, les fous-rires nous pognent à de drôles d’endroits.

Entre mon année à la pige et mon retour à un horaire d’adulte, les nouveaux wagons s’étaient multipliés. On avait vanté le fait qu’ils laissaient entrer plus de voyageurs, mais ce matin-là, coincée entre deux personnes qui ne savaient pas gérer leur espace, avec une vue sur une oreille qui avait un vif besoin d’être débroussaillée, j’ai trouvé que c’était aussi un problème. Plus de monde dans un wagon, ça augmentait le coefficient de désagrément. Faut croire que personne sur le C.A. n’y avait pensé.

Un peu plus loin, un garçon donnait des petits becs dans le cou de son amoureuse qui lui racontait quelque chose. La scène m’aurait autrement énervée, parce que les couples dans le métro sont parfois tannants, comme ceux qui s’enlacent en prenant le poteau en otage, ou encore ceux dont le chum protège son petit butin tout en faux cils, certain qu’on va partir avec à Beaubien, vite vite dans la craque des portes qui se ferment. Mais ce matin-là, la vision du garçon charmé par ce que lui contait sa blonde à 8h15 dans une mer de monde qui avait trop chaud m’a fait cligner des yeux, presque incrédule. Des fois c’est comme ça, l’amour visite de drôles d’endroits et te fait croire à un mirage.

J’écoutais Curtis Harding et mes cheveux collants de statique m’achalaient la moitié du visage. Je continuais de fixer les amoureux à travers une mèche électrique quand l’homme s’est tourné vers moi, sentant probablement que je l’observais avec mes pupilles pas pareilles (mes pupilles sont pas pareilles). Suivant son mouvement, sa blonde a jeté un oeil elle aussi. J’ai eu envie de leur dire qu’ils étaient un genre de verre de jus d’ananas dans mon matin. Mais t’sais comment c’que c’est, j’ai juste baissé la tête et j’ai regardé mon téléphone pour voir le titre de la toune qui jouait. De toute façon, je n’aurais pas été particulièrement fière de ma métaphore. L’ananas, c’était peut-être juste mon affaire à moi. J’ai lu les mots Wednesday Morning Atonement, étonnée. On était lundi matin, mais quand même.

Entre Préfontaine et Peel, il s’était mis à neiger, et j’ai marché jusqu’au travail sous les flocons qui s’empilaient doucement sans faire de cas, tenaces mais silencieux. L’année commençait comme ça, timide, mais c’était ben correct, fallait pas trop en demander à un 8 janvier. J’ai pensé au gentil chauffeur, à l’épisode de slapstick des escalateurs, à l’amoureux en amour et à la neige qui ne se décourageait pas, et je me suis enfin trouvé une résolution. Je ne savais pas encore comment la phraser, mais j’ai souri à la bonne vieille idée du bonheur simple et de la légèreté, comme un verre de jus plein de glace.