La fille d’automne

Je me suis réveillée en culotte de jogging, que j’avais enfilées en plein milieu de la nuit, gelée dans mon lit trop grand. Comment on était passé de sommeils climatisés à ça, sans ouvrir les fenêtres entre les deux, je ne savais pas. Heureusement, ce matin-là, personne ne m’avait vue me lever. Parce qu’un peu plus et je portais des bas.

Fallait rentrer les plantes, faire quelque chose avec le basilic qui n’avait pas servi une fois, ranger les trucs colorés et remballer l’été. Fallait aussi vider l’écumoire, et je ne trouvais pas la motivation pour me plonger le bras parmi les araignées qui flottaient dans une eau à 66 degrés. Le soleil du matin ne réchauffait plus et traversait déjà la cour dans un angle différent.

Je me suis rappelé des paroles d’adolescence, une bande de garçons populaires qui s’amusaient à étiqueter les filles, celles d’hiver et celles d’été. Je n’avais jamais su de quel groupe je faisais partie, même après avoir traversé une bonne couple de chacune de ces saisons-là. En réalité, j’étais une foule de choses qui ne paraissaient pas.

J’avais une certaine admiration pour le what you see is what you get. Il me semblait que traverser la vie en mode dans ta face devait être franchement plus simple que d’avoir à convaincre quelqu’un que oui, on était sensible, facilement touchée, ou encore douloureusement romantique. Quelque part sur mon parcours, je m’étais bâti une image de sang froid et de cynisme tellement efficace qu’on riait franchement à l’idée que j’aie un coeur. Et pourtant, il se fendait quotidiennement pour des niaiseries, une toune, ou un monarque dans l’eau de la piscine, tellement que je perdais mes mots quand j’avais à en persuader quelqu’un. Morte en dedans? Ça bouillonnait tellement qu’il me fallait être un contenant en titane. Danses-tu dans ton salon, toi, avant de partir travailler? Heureusement, ce matin-là, personne ne m’avait vue groover les yeux fermés.

J’aurais aimé être une fille d’été, légère et simple. Ou une fille d’hiver, chaleureuse, enveloppante. La réalité était que je devais avoir l’air d’une fille d’automne, comme un ciel bas, nuageux, on ne sait pas trop où entre le chaud et le froid. Une enfant de la fin septembre, incapable, toutefois, de porter un damné col roulé. Un vrai mystère. Au-dessus des nuages, y’avait pourtant un soleil éclatant et une espérance aussi vaste qu’une plaine enneigée. Cynique, mais jamais amère, comme je me plaisais à le rappeler. Mais il me semblait que la seule ma fille voyait clair et ignorait l’armure. Petit personnage à mon image, pas pantoute dupée par mon coat de métal réfractaire.

«Ça a pas l’air facile, être toi.» Des fois un peu moins, mais je ne le déclarerais jamais à haute voix. Je me disais sans ego que je bouillais peut-être d’un matériau qui me permettrait de construire des petites affaires en métal précieux. Sinon, pourquoi?

En même temps, c’était peut-être correct aussi de ne pas montrer tout son jeu au premier tour. J’aimais croire que ça aidait à faire le tri des gens autour. Mais ce matin-là, j’aurais voulu rentrer au travail et dire que je n’avais pas dormi et juste envie de pleurer. Une fille d’hiver aurait eu un câlin en retour. Mais moi, j’ai fait une couple de blagues et me suis concentrée sur un texte sérieux en me défaisant discrètement le tympan, et personne ne m’a touchée.

Y’a personne de parfait, mais ça aurait été tellement plus facile d’être parfaitement transparent. Le midi, j’irais courir au gym pour m’épuiser la tête, la seule façon que j’avais trouvée d’évacuer ce qui m’habitait. Et le soir, je pleurerais franchement dans le noir d’une salle de théâtre, touchée par la beauté des mots, la beauté de la musique, la beauté de l’interprète qui danse seul, parmi le public, comme moi je le faisais, seule, à la maison. C’était vraiment pas ben grave, je n’étais pas une personne déprimée. J’étais comme l’automne, j’avais juste l’air d’être tempérée.