Le nouvel arrêt

La madame était placée dans un coin, aux pieds de l’escalier. Elle tenait son Tour de garde avec gêne et sans grande conviction; les Témoins allaient pas recruter grand monde à matin. Combien de gens s’arrêtent, même quand les camelots de Jéhovah sont bien visibles? Avec confiance, j’avancerais pas mal zéro. On gagne-tu une moitié de ciel quand on répand la bonne nouvelle à 50%? Est-ce que ça nous garantit une place au buffet fusion de Dieu plutôt qu’à son restaurant 3 étoiles? C’est ben compliqué, la religion.

La température n’était pas claire. J’avais froid en camisole et je croisais des gens qui étouffaient dans leurs petites vestes. On s’entendait toutefois sur l’humidité. J’avais l’air d’un glorified Q-tip, le genre qu’on trouve probablement au paradis.

Les mains se battaient pour une place sur le poteau, glissant des vécus de tout le monde autour, tandis que la fille face à moi accrochait mon bras chaque fois qu’elle tournait une page de son Métro. Y’avait là 3 fautes si on compte « déployer un petit journal quand le wagon est plein », mais c’était sa position dos aux portes et à 6 pouces de mon visage qui méritait la plus grosse amende.

Juste au moment où la madame à côté de moi a choisi d’utiliser son coude comme point d’appui sur le poteau, la température est devenue identifiable : oui, il faisait chaud. Mes cheveux ont gonflé de trois autres pouces cubes, comme un lézard qui se bombe la petite collerette en situation de danger. J’ai parfois triché en physique 534 (allo maman), mais je comprenais quand même qu’advenant un arrêt brusque, Denise ferait un vol de fantaisie vers l’avant du wagon. L’idée globale me plaisait, à l’exception de la partie où je recevrais dans les dents une femme de 145 livres habillée en patchwork.

Eille, pendant combien d’années j’allais encore prendre le métro matin et soir? C’était bon pour l’inspiration, mais j’ai calculé qu’à coups de courts billets de blogue bimensuels, j’avais encore du stock pour une bonne décennie, en plus de gagner mon paradis en ostie, pour paraphraser Jésus. J’ai été frappée d’une grande fatigue et d’une envie de crier que ça pouvait bien aller mal dans le monde quand on n’est même pas capable, à 100 personnes, de se répartir intelligemment dans un wagon de métro. À la place, j’ai monté le volume de ma musique et je me suis concentrée sur une vieille toune d’Oasis. Enfin, vous me direz que toutes les tounes d’Oasis sont vieilles.

Je suis débarquée à Square Victoria, le temps de me frayer un chemin à travers ces passagers persuadés qu’on peut les traverser par osmose. C’était mon nouvel arrêt, dans le corporate Montréal s’il en est un, comme dans « Danielle au pays des chemises bleues ciel ». Nouvel emploi, nouvelle routine, nouvelle machine à café et nouveaux gens autour. Dans le couloir, le guitariste jouait un vieux hit de Spoon. Enfin, tous leurs hits sont vieux aussi. J’ai souri, même si j’avais manqué leur show la veille. Synchronicité. Y’a quand même pas grand-chose comme la musique pour ramener au bon endroit.

J’ai zigzagué dans les rues d’un quartier que je ne connaissais pas encore pour trouver le chemin le plus court, mais surtout pour étirer le temps parce que j’étais partie trop tôt, le défaut des gens ponctuels. J’ai eu Monsieur Valentine en tête toute la matinée, comme pour me rappeler que mon passé et toutes ses tounes m’accompagnent toujours dans les nouveaux départs. Danielle au pays des chemises corporate, je verrais bien où l’aventure me mènerait. No one sees the two sides of Monsieur Valentine… À date, et même si je voyageais encore en commun, je recevais 2015 dans les dents aussi, mais comme un magnifique french les yeux grands ouverts.