Les confettis

La femme devant moi jouait à Candy Crush enroulée autour du poteau. Celle à sa gauche avait dans son sac une boîte de Frosted Flakes format jumbo. Enfant, un de mes plus grands rêves avait certainement été de me nourrir exclusivement de céréales au sucre. Aujourd’hui, j’aurais du mal à terminer un avant-midi à la verticale avec un repas de maïs givré. « Un vrai régal »? I think not. Après 8 ans, un bol de Frosted Flakes, ça se mange à 4h du matin pour absorber le dernier Gin Tonic de la soirée.

Je ne connaissais plus grand-chose des guitares, parce qu’elle était loin, l’époque où j’entendais jaser de têtes d’amplis en baillant. Mais j’ai reconnu le son de la Stratocaster qui résonnait au bout du couloir. En équilibre précaire sur des talons trop hauts, les chevilles de la femme devant moi pliaient vers l’intérieur à chaque pas en rythmant une magnifique version solo de Swimming Pools. J’ai enlevé mes écouteurs et je me suis arrêtée. J’aurais voulu fermer les yeux au centre du corridor, parmi les chemises aux propriétaires aussi pressés que leurs cols. Le guitariste se balançait d’un pied à l’autre, une Strat bleu poudre à l’épaule, sans se soucier de l’heure ou du contexte. Moi, j’étais la fille self-conscious qui n’allait pas danser avec un sac d’ordinateur.

La veille, au même endroit, un homme s’était arrêté pour féliciter celui qui jouait du Bon Jovi. J’avais failli rouler des yeux, parce que t’sais, Bon Jovi, puis je m’étais rapidement ravisée : c’était rassurant de ne pas être la seule à se laisser accrocher les oreilles dans le passage qui mène à 9 h. J’avais été l’enfant d’un père qui pouvait écouter le même album en boucle pendant des heures, les yeux fermés. C’était dur pour moi de ne pas juger la musique, mais j’avais fait le voeu, il y avait un bon moment déjà, de ne pas juger de la nature de celle qui berce l’âme de l’un ou de l’autre.

J’ai dépassé ceux qui étiraient leur matin, immobiles à droite dans l’escalier roulant. À l’extérieur, comme à l’habitude, la madame aux petits journaux m’a souhaité bonne journée. Ce mardi s’annonçait déjà en sérieux déficit de glam, à peu près comme un déjeuner de céréales, mais des fois faut jouer sur un écran beige un petit moment pour se redonner le goût de partir à la chasse aux confettis. Il faisait trop doux pour décembre, et trop doux pour m’en faire avec la couleur de la toile de fond. La vie, c’est une suite de tracks. Quand on en trouve une bonne, on se dit ça y est, mais faut savoir chercher la suivante quand on arrive au bout de celle-là. C’est quand même tannant de ne pas toujours avoir le temps de se poser quelque part, et on arrivera peut-être ainsi au bout de tous nos chemins avec un petit mal de genoux à force d’avoir sauté souvent. Mais peut-être qu’on aura aussi juste plus d’affaires à se conter, la tête et le coeur pleins des confettis qu’on aura osé chasser. Paraît que rendu là on a mal partout anyway.