Le road trip

Je ne sais pas ce qui m’a prise, mais j’ai pensé acheter ma CAM le 31, histoire de ne pas attendre en file le lendemain avec tous les prix Nobel comme moi qui n’ont pas encore opté pour le renouvellement en ligne. Pour la première fois en 5 ans, personne ne m’entendrait murmurer un bravo Danielle le 1er du mois à la vue de l’attroupement de clowns devant le guichet.

J’ai appuyé sur « imprimer le reçu », simplement pour ajouter une facture inutile dans mon portefeuille, en me répétant que les chances qu’un matin ma carte ne fonctionne pas et que j’aie à présenter une preuve d’achat au monsieur dans le booth étaient à peu près nulles. En ouvrant la petite porte pour ramasser le papier, j’ai fait tomber une pièce de monnaie oubliée là par un autre passager. Je l’ai entendue toucher le sol, j’ai hésité en constatant que c’était un 2 $, mais j’ai continué mon chemin parce que j’étais déjà trop loin. The moment was uncomfortably gone. L’homme derrière moi dans la file m’a interpellée en me montrant la pièce. Sous son regard qui indiquait assez clairement qu’il ne me trouvait pas particulièrement vive, j’ai répondu « C’est pas à moi, tu peux la prendre ». C’était, oui, une drôle de réponse, surtout à 75 dB parce que j’avais des écouteurs sur les oreilles. Le court épisode a duré juste assez de temps pour installer un malaise. Quissé que j’étais pour lever le nez à plein volume sur un 2 $? Personne. Mais des fois le sens du timing fait défaut, tout spécialement le lundi matin à 8h40.

Dans l’escalier, le coup de vent du train qui entrait en station a fait valser la magnifique robe africaine de la femme qui descendait devant moi. L’homme qui tentait de la dépasser s’est fait emballer par le tissu et a tenté de se déprendre à grands moulinets de bras. J’ai pensé merci la vie de me permettre d’être témoin de moments comme celui-là. Mon petit suicide social à 2 $ venait d’être upstagé.

Dans le wagon, la place réservée aux passagers à mobilité réduite était libre, ce siège maudit qui oblige son occupant à rester vigilant pendant toute la ride à moins de vouloir être sacré impie du wagon parce qu’il n’a pas vu la dame âgée embarquer à Beaubien. J’étais fatiguée et j’ai choisi d’y poser mes fesses, mais j’ai gardé l’oeil sur les pieds des autres passagers, m’assurant ainsi de ne pas manquer une éventuelle paire de chaussures orthopédiques. Je vivais bien avec le fait d’être une impie at large, mais je ne serais pas celle du métro, oh! que nenni madame. Je sais comment me transporter en commun.

Ça sentait le 1er septembre et ça ne me déplaisait pas trop. Pour une rare fois, j’avais l’impression d’avoir fait le tour de l’été. Ma tête avait maintenant besoin de changer de garde-robe, de mettre un petit gilet à grands manches avec ses shorts. La seule chose que je n’avais pas faite parmi celles auxquelles j’avais pensé, c’était partir en road trip le bras dans le vent de la fenêtre ouverte, avec une playlist de circonstance et une main que j’aime sur ma cuisse, d’un point A au suivant avec rien de précis entre les deux. Il me restait encore l’automne pour le faire.

À Mont-Royal, la fille assise devant moi a offert sa place à une femme dans la cinquantaine, qui, confuse, a fait non de la tête. Oh! le délicieux manque de jugement. Soudainement, mon malaise du matin est devenu aussi confortable qu’une gougoune à la fin de la saison. C’est délicat, la cession de place, et à grande échelle on aurait frôlé là l’incident diplomatique. Se faire appeler madame dans la trentaine est déjà pénible, je me suis imaginé la grafigne à l’orgueil mais surtout la surprise quand on nous cède une place à 50. Mais la vie c’est comme l’été : on se réveille un matin et on s’étonne d’être rendu le 31 août. C’est correct de repousser jusqu’en septembre ses projets de prendre la route, mais vaut mieux essayer d’en aligner le plus possible pendant qu’il fait beau. Sur cette métaphore facile sans en être pourtant fausse, je me suis dit que de retour chez moi, j’achèterais de nouveaux albums pour ma playlist.