Le pigeon

Mystifiant comment on revient toujours au 1er septembre dans la confusion de l’été qui a passé trop vite. Mais c’est-tu moi ou c’est ben dur de faire d’à peu près deux mois et demi le highlight d’une année? Ça m’étonnerait que quelqu’un soumette un jour à l’Académie l’expression « un été long comme novembre ».

J’ai couru dans le parc Jarry à la nouvelle noirceur de 20 h, entre les femmes en sari et les fins de pique-nique, dans une odeur d’août qui allait bientôt disparaître et ses criquets en contrepoint avec une démonstration de danse africaine. J’avais surtout envie d’une bière et de me coucher en X dans le gazon, mais courir au bout de sa tête c’est parfois aussi efficace que la boire.

Sur St-Laurent, un pigeon désorienté tournait sur lui-même au milieu d’une voie, étourdi par une voiture. J’ai l’oeil pour ces situations-là, et souvent je me dis damn pourquoi je l’ai vu, lui, parce qu’assurément ça m’arrache un bout de coeur dans les cas où je suis impuissante, même si le souvenir de n’avoir rien fait me torturerait davantage. À New York, j’avais été témoin du viol collectif par d’autres pigeons d’un de leurs collègues mourant. Je m’étais dit gang, si c’est ça que vous vous faites entre vous, permettez-moi d’hésiter la prochaine fois que j’en vois un mêlé entre deux lignes blanches. Mais bon, dans ma vie j’ai pardonné des choses pas mal pires que ça.

J’ai donc pris l’oiseau halluciné et l’ai déposé dans le parc, loin du trottoir. Ça se tient quand même bien, un pigeon. En tout cas, pas mal mieux qu’un bébé chauve-souris qui a sacré le camp d’un toit de Pointe-St-Charles. J’étais en shorts de course, et donc commando de Purel ou autre désinfectant d’urbains. J’ai pensé mets pas tes doigts dans ta bouche et ça devrait bien aller.

Le lendemain, assise au bar d’un resto avec une amie, j’ai vu qu’il y avait du pigeon au menu. J’ai pris la pintade en appréciant la synchronicité. Plus tard, j’ai visité les cuisines avec le chef, généreux de son temps, généreux tout court. Il devait être minuit, et j’étais possiblement la vingtième à le faire. Il a quand même ouvert toutes les portes, raconté l’endroit, passionné. Devant l’étalage de champignons sauvages, je n’entendais déjà plus grand-chose, juste hallucinée moi aussi par la chance que j’avais de rencontrer des gens vrais et inspirés, inspirants. Y’avait peut-être une réflexion à faire sur le karma quelque part là-dedans, même si je n’avais pas sauvé l’oiseau du menu, mais je n’allais pas perdre mon temps à questionner mon étoile, juste l’apprécier. Le 1er septembre pouvait s’amener, c’était ben correct.