Les tours

Le bleu franc du ciel rendait surréelle l’horreur une soixantaine de rues plus bas. Encore aujourd’hui, je trouve difficile d’en saisir toute l’intensité. Fou comme une météo parfaite altère les perceptions. Tout a été dit au sujet du 11 septembre, mais je ne sais pas si quelqu’un s’est risqué à raconter ceux qui se faisaient bronzer dans Riverside Park pendant le pire bout de l’affaire, ou comment les terrasses de l’Upper West Side étaient pleines. Un bleu trompeur comme ça.

On a quitté la ville pour y retourner deux mois plus tard, le temps que la poussière retombe, surtout au propre et pas tellement au figuré. Le terme Ground Zero me tannait, jusqu’à ce que je vive le mien quelques années après. Mais dans les petites tragédies individuelles, il y a rarement quelqu’un pour critiquer les grandes tours ensuite construites sur les cendres des premières. Mais quand même, Ground Zero? Ground -1000.

Avant de partir, on s’était assis dans le parc, sous le ciel de Manhattan déshabillé de ses avions. Mais sur l’autoroute au-dessus de nous, des dizaines de camions réfrigérés filaient vers le sud, vers le site. Tout a été dit au sujet du 11 septembre, mais peut-être pas à quel point on voyait les étoiles le lendemain soir, comment elles illuminaient la parade glauque du West Side Highway.

Il n’y a pas tellement de parallèles à faire avec les tremblements de vie personnels, si ce n’est que la beauté dans le cauchemar est un concept flou et variable, et souvent un mirage pour tenir le coup. Comme l’expression « rien n’arrive pour rien » est un placebo. Y’en a en ostie, madame, des affaires qui arrivent pour rien. C’est juste ce qu’on choisit de faire avec qui donne un peu de valeur à l’énoncé. Je ne dis pas que c’est le cas ici ou là-bas. Mais on arrive un jour à raconter avec un sourire détaché, comme on écrit sur le 11 septembre six jours trop tôt.