Le cycle

Apparemment, des jeunes se sont amusés à escalader ma voiture au milieu de la nuit. Enfin, c’est pas pour discriminer, mais les cris heureux entendus à 2 h ne semblaient pas émaner de mon propriétaire portugais ou de sa femme, même s’ils sont de nature guillerette. Ce matin, le toit et le capot sont incurvés comme si deux danseurs en ligne du centre communautaire en face de chez nous avaient pratiqué leur bachata sur ma hatchback.

Je ne suis pas colérique, et surtout, je suis calme devant la marde. « Bon. Tabarnak. » a été ma seule réaction. J’ai pensé au sigle de Mercedes que j’avais passionnément arraché, à 15 ans, pendant l’une de ces virées de banlieue où on ne faisait rien d’autre que déambuler dans les rues avec des mauvaises bières dans nos sacs à dos. Ou à la fois où on avait peut-être ou peut-être pas versé des Molson Dry, justement, dans une décapotable (allo maman). J’ai appelé ma compagnie d’assurances en me disant qu’au moins il y avait encore des jeunes qui jouaient dehors.

Pendant mes années d’université, alors que j’habitais à Pointe-St-Charles, un bruit en continu sous ma fenêtre m’avait réveillée en pleine nuit. Coudonc c’est ben tannant, que je m’étais dit. Comme cette nuit. Le lendemain, ma voisine était entrée chez moi en me lançant « Calice, quelqu’un a scié mon cadenas de vélo! » Woups. 
On s’était quand même tapé sur les cuisses en m’imaginant m’énerver dans mon lit tandis qu’un moustachu se sauvait sur un petit bicycle de fille. Ma voisine mesurait 4’10.

Des fois le vandalisme c’est drôle. Je cite en exemple ce bosquet de la colline parlementaire taillé en forme de pénis par un plaisantin. J’ai souri face à mon char aussi. Plus jeune, on a moins le sens des possessions, et pas vraiment la notion de conséquences. Des fois c’est une belle affaire, et je n’ai pas trouvé comment en vouloir à ceux qui avaient abusé de mon auto. C’est quand même juste un char, et le cycle qui recommence; à chacun sa place sur la roue qui tourne. Et c’est bon que madame Susie, la madame d’AXA qui me vouvoie malgré qu’on ait le même âge, serve à quelque chose.

On finit par s’ennuyer du temps où prendre un risque simple et con nous faisait sécréter une quantité magique d’endorphines. Adulte, c’est plus compliqué. J’ai pas tant envie de sauter en parachute ou de grimper une montagne orientale. J’ai ben le goût de grimper une clôture de piscine publique pour y plonger en bobettes, par exemple.

Rire fort

— Je l’sais-tu quoi écrire, moi? Je suis vraiment pas le public cible.

— Danielle, on n’est pas le public cible de grand chose.

Je m’explique mal pourquoi certaines personnes ne sont le public cible de rien, alors que d’autres absorbent et se sentent concernées par tout ce qu’on leur donne. Eille, c’est tellement pas vrai : je me l’explique très bien, mais je suis de nature plutôt polie.

Dans mon monde idéal, où les crottes de fromage seraient notamment une source de plusieurs vitamines et minéraux essentiels, les annonces-fleuve avec des histoires familiales touchantes sur une musique indie d’espoir et se concluant sur un paquet de saucisses ne tireraient aucune larme. À personne. Suspense et on vous a bien eus, hein? Non, je pense pas. À moins qu’il soit 3 h du matin au retour d’une soirée alcoolémique et qu’il ne reste que des mini carottes dans mon frigo, le temps où je vais pleurer pour un hot dog n’est pas encore venu. Je vais garder mon appitoiement pour les vraies affaires, si ça vous dérange pas.

La vie, des fois, c’est moins plaisant, et si tout le monde pouvait s’arrêter un moment et se demander « the hell que je pleure pour une histoire de viandes séparées mécaniquement? », je pense qu’on ferait un grand pas vers quelque chose. Le drama dans les sphères qui ne devraient pas être dramatiques, ça fera. Et ce, dans la vie comme dans la saucisse. On peut-tu rire?

« Tu m’as fait rire fort, tout seul comme un cave dans mon salon ». Je cherche un compliment qui m’a fait plus plaisir au cours de la dernière année que celui-là, reçu cette semaine. Évidemment, les compliments sur la plastie font un velours à tout le monde; semblerait, tristement, que c’est la chose la plus importante de notre ère. Mais le vide en sous-texte est lassant. On préfère toujours savoir qu’on a brassé une tête. Du moins, quand on en a une soi-même.

Justement, qu’est-ce qui se passe lorsque ceux qui misent sur l’image et ne savent bien apprécier que l’apparence voient se dresser le cap du fading looks ou autre menace contre cette éphémérité qui leur est si précieuse, qu’il s’agisse de la leur ou celle des autres? Drama. Il y a certainement une autre blague de saucisse à faire là. Ça prend pas mal plus de cartes dans un jeu que le look et le talent de valoriser les autres en soulignant leur cul à eux. Donc, qu’est-ce qu’on fait, face à ces gens-là? On baille, puis run, comme on dit. Y’a pas grand chose à faire là, à moins de vouloir finir tout seul au bout de la route. Parce que le désir c’est comme l’amour, c’est moins futile et bien meilleur quand ça passe aussi par la tête. Pour peu qu’on sache se servir de la sienne, évidemment.

Les tours

Le bleu franc du ciel rendait surréelle l’horreur une soixantaine de rues plus bas. Encore aujourd’hui, je trouve difficile d’en saisir toute l’intensité. Fou comme une météo parfaite altère les perceptions. Tout a été dit au sujet du 11 septembre, mais je ne sais pas si quelqu’un s’est risqué à raconter ceux qui se faisaient bronzer dans Riverside Park pendant le pire bout de l’affaire, ou comment les terrasses de l’Upper West Side étaient pleines. Un bleu trompeur comme ça.

On a quitté la ville pour y retourner deux mois plus tard, le temps que la poussière retombe, surtout au propre et pas tellement au figuré. Le terme Ground Zero me tannait, jusqu’à ce que je vive le mien quelques années après. Mais dans les petites tragédies individuelles, il y a rarement quelqu’un pour critiquer les grandes tours ensuite construites sur les cendres des premières. Mais quand même, Ground Zero? Ground -1000.

Avant de partir, on s’était assis dans le parc, sous le ciel de Manhattan déshabillé de ses avions. Mais sur l’autoroute au-dessus de nous, des dizaines de camions réfrigérés filaient vers le sud, vers le site. Tout a été dit au sujet du 11 septembre, mais peut-être pas à quel point on voyait les étoiles le lendemain soir, comment elles illuminaient la parade glauque du West Side Highway.

Il n’y a pas tellement de parallèles à faire avec les tremblements de vie personnels, si ce n’est que la beauté dans le cauchemar est un concept flou et variable, et souvent un mirage pour tenir le coup. Comme l’expression « rien n’arrive pour rien » est un placebo. Y’en a en ostie, madame, des affaires qui arrivent pour rien. C’est juste ce qu’on choisit de faire avec qui donne un peu de valeur à l’énoncé. Je ne dis pas que c’est le cas ici ou là-bas. Mais on arrive un jour à raconter avec un sourire détaché, comme on écrit sur le 11 septembre six jours trop tôt.

Le pigeon

Mystifiant comment on revient toujours au 1er septembre dans la confusion de l’été qui a passé trop vite. Mais c’est-tu moi ou c’est ben dur de faire d’à peu près deux mois et demi le highlight d’une année? Ça m’étonnerait que quelqu’un soumette un jour à l’Académie l’expression « un été long comme novembre ».

J’ai couru dans le parc Jarry à la nouvelle noirceur de 20 h, entre les femmes en sari et les fins de pique-nique, dans une odeur d’août qui allait bientôt disparaître et ses criquets en contrepoint avec une démonstration de danse africaine. J’avais surtout envie d’une bière et de me coucher en X dans le gazon, mais courir au bout de sa tête c’est parfois aussi efficace que la boire.

Sur St-Laurent, un pigeon désorienté tournait sur lui-même au milieu d’une voie, étourdi par une voiture. J’ai l’oeil pour ces situations-là, et souvent je me dis damn pourquoi je l’ai vu, lui, parce qu’assurément ça m’arrache un bout de coeur dans les cas où je suis impuissante, même si le souvenir de n’avoir rien fait me torturerait davantage. À New York, j’avais été témoin du viol collectif par d’autres pigeons d’un de leurs collègues mourant. Je m’étais dit gang, si c’est ça que vous vous faites entre vous, permettez-moi d’hésiter la prochaine fois que j’en vois un mêlé entre deux lignes blanches. Mais bon, dans ma vie j’ai pardonné des choses pas mal pires que ça.

J’ai donc pris l’oiseau halluciné et l’ai déposé dans le parc, loin du trottoir. Ça se tient quand même bien, un pigeon. En tout cas, pas mal mieux qu’un bébé chauve-souris qui a sacré le camp d’un toit de Pointe-St-Charles. J’étais en shorts de course, et donc commando de Purel ou autre désinfectant d’urbains. J’ai pensé mets pas tes doigts dans ta bouche et ça devrait bien aller.

Le lendemain, assise au bar d’un resto avec une amie, j’ai vu qu’il y avait du pigeon au menu. J’ai pris la pintade en appréciant la synchronicité. Plus tard, j’ai visité les cuisines avec le chef, généreux de son temps, généreux tout court. Il devait être minuit, et j’étais possiblement la vingtième à le faire. Il a quand même ouvert toutes les portes, raconté l’endroit, passionné. Devant l’étalage de champignons sauvages, je n’entendais déjà plus grand-chose, juste hallucinée moi aussi par la chance que j’avais de rencontrer des gens vrais et inspirés, inspirants. Y’avait peut-être une réflexion à faire sur le karma quelque part là-dedans, même si je n’avais pas sauvé l’oiseau du menu, mais je n’allais pas perdre mon temps à questionner mon étoile, juste l’apprécier. Le 1er septembre pouvait s’amener, c’était ben correct.

So ride on

L’homme en habit transportait trois chemises dans un sac transparent de nettoyeur : une blanche, une bleue, et une lignée bleue et blanche. Celle sous son veston était bleu ciel. Peut-être que l’audace était dans sa cravate et ses bas rouges? Je ne suis pas à l’affût des tendances dans le domaine des affaires.

Tandis que je lui inventais une vie en lisant à l’envers la facture accrochée après les cintres et en pensant ça coûte donc ben cher faire nettoyer des chemises bleues, une olive noire dénoyautée a roulé entre nos pieds. J’ai d’abord cru que c’était un raisin, puis un bleuet, parce que qui grignote des olives en canne dans le métro? Une madame qui portait ces malheureux souliers de cuir avec des orteils l’a écrasée sans la voir. Là encore, j’aurais apprécié un témoin, juste un. J’étais dans une pièce de théâtre expérimental, mais je n’ai pas réfléchi longtemps à la signification de l’affaire.

On n’a pas besoin de chercher des symboles et des métaphores partout, tsé.

Mes écouteurs me jouaient tout croche un mauvais shuffle depuis Square-Victoria, jusqu’à cette toune de Radio Radio. La toune d’un début. Je me suis demandé ce qui était pire : être la personne qui est malade dans un wagon, ou être celle qui pleure. Deux expériences qui manquaient à mon cheminement, mais que je n’avais pas nécessairement envie de vivre non plus.

On n’a pas besoin de tout essayer, tsé.

Une fois, j’ai tenu la main d’une inconnue qui était pliée au-dessus d’une poubelle du métro, en attendant les ambulanciers. Et trois fois j’ai demandé à des passagers qui n’arrivaient pas à contenir leur peine si ça allait. J’ai regardé autour de moi : il y avait l’homme à la cravate rouge, la madame aux mauvais souliers, et une couple de gens encore moins avenants. J’ai pensé qu’aucune de ces personnes ne me tendrait la main si je m’épanchais. J’ai touché l’épaule de la fille à côté de moi et lui ai dit que j’aimais ses cheveux. Apparemment, j’ai fait sa journée. Facile comme ça : un compliment gratuit, une réaction charmante, un mauvais feeling potentiel mis en échec. I win.

Les mélomanes ont des histoires qui commencent avec un band et finissent avec un autre. Leurs trames se tissent de musiques à partager, écoutées en boucle les jambes et les coeurs emmêlés, en road trip ou dans la tempête d’un lit. Après la fin, il y a ces artistes qu’on emballe parce qu’ils rappellent un temps qui n’existe plus. Comme on se sépare les meubles, on laisse aller les éphémères, mais on garde toujours Beck, parce qu’il nous suit depuis bien avant.

Faque. Je n’ai ni pleuré, ni vidé mon estomac dans mes mains, parce que vraiment, je n’avais envie d’aucun des deux. Une toune de 2012 n’allait pas résonner dans un samedi de 2014. Je me suis dit ride on et j’ai arrêté le shuffle en souriant. Il y avait un nouveau band que j’avais envie d’écouter.