Les bas de nylon

J’écrivais un rôle à l’une des deux madames assises face à moi, celle qui portait une chaînette à la cheville gauche, sous un bas de nylon. Je me demandais d’ailleurs comment on enfilait, sur un bijou, un matériau aussi fiable que le kleenex, mais en la regardant nettoyer ses lunettes je me suis rappelé la technique apprise par ma mère pour se glisser dans un collant sans y laisser de mailles. Ma mère qui, à l’époque et en réponse à mes rechignements, m’avait lancé que j’étais mieux de m’habituer, fille, parce que j’allais devoir en porter toute ma vie. Vraiment? Laissez-moi me féliciter ici d’avoir coché sur ma liste de vie deux objectifs identifiés très tôt : ne pas habiter à un endroit qui nécessite une escale quotidienne au métro Longueuil, et ne pas porter de bas de nylon.

Donc, je fixais la petite chaîne coincée croche dans la résille en imaginant la femme assise sur un récamier zébré aux accoudoirs gold avec les deux mains dans le pied gauche de son bas pour l’étirer, quand le métro a freiné subitement. Un homme qui était debout bien droit, les bras le long du corps, a perdu pied et s’est retrouvé sur ses cuisses. Ses cuisses à elle, la madame au récamier. J’ai regardé les deux protagonistes se fâcher : elle parce qu’elle avait reçu quelqu’un dans les genoux, et lui parce que sa masculinité en avait souffert un peu. Sans s’excuser, il a repris sa place près du poteau pendant qu’elle replaçait sa jupe, irritée. J’ai cherché un sourire, mais de toute évidence, tout le monde dans le wagon était plus mature que moi.

Malgré l’incident, l’homme n’a pas cru bon agripper le poteau pour la prise deux et j’ai eu envie d’en faire le porte-parole de tous ceux qui ne se tiennent pas en lui demandant si l’objectif était qu’on admire leur stabilité. Eille, peut-être qu’on aurait enfin la réponse à cette fameuse question. Je sais pas, on est-tu supposé conclure quelque chose au sujet de leurs quadriceps? De leur force mentale? C’est certainement pas juste des cas de germophobie galopante. Bref, ça m’échappe, là. Parce que dans mon guide d’usager à moi, ça suit la même logique que porter un manteau d’hiver en hiver : c’est très correct et normal de se tenir après les poteaux du métro, les gens. Je dirais même que c’est presque un signe d’intelligence de base, et ça évite, notamment, d’aller s’effouérer sans style sur une passagère à deux mètres de soi.

« Pis là t’encules tout l’monde parce que tu t’en vas dans l’Sud au fucking sunshine. » L’homme à ma gauche pensait lui aussi aux manteaux d’hiver en s’exprimant avec moult superlatifs. J’ai pris ses mots en note, certaine qu’autrement j’en oublierais le phrasé exact. Ses compagnons d’infortune, en bottes de construction, partageaient ses impressions avec des envolées chrétiennes. En plus d’une grande admiration pour une utilisation impeccable du mot « ciboire », le sacre le plus difficile à rendre, j’éprouvais beaucoup d’empathie : travailler dehors à -25, c’est pas comme être assis devant un écran à téter un café en chialant parce qu’il est rendu tiède et que le micro-ondes le plus proche est juste un peu trop loin. Mon ami Guérard vous dira que c’est bien pire être un gars de construction en été, sur un toit à 30 degrés, mais moi je pense que c’est le roux en lui qui parle. Bref, on sentait que le temps froid qui nous frappait pour la première fois de la saison jouait déjà dans toutes les têtes.

En sortant du métro, j’ai enfilé mes gants magiquesMC qui n’avaient de magique que le nom, à moins qu’on entende par là que de les porter c’est comme rien porter pantoute. Le froid mordait déjà les cuisses; le temps était crisp, comme on aurait dit en anglais. J’ai marché en concluant qu’il y avait des journées comme celle-là, où on n’apprenait rien d’important. Il n’y avait pas non plus de morale à en tirer, si ce n’est que des fois, c’est bon de slacker sur le « vis chaque jour comme si c’était le dernier ».

J’ai quand même espéré pendant une seconde que cette journée ne soit pas ma dernière, parce que je quitterais ainsi ce monde un jour de bol de céréales pour souper. Mais quand même, c’est correct aussi de prendre une pause des grands dictons de vie à 100 milles à l’heure et de juste apprécier les petites scènes de rien qui se jouent autour. Ça nous rappelle, par exemple, qu’une petite chaîne de cheville, ben c’est pas tellement beau, et que les objectifs moins grandioses sur notre liste de vie ont parfois plus d’incidence sur notre bonheur qu’on peut l’imaginer.