Ça m’est arrivé encore hier. Sous la douche, je me suis dit que je n’avais pas eu de nouvelles de mon père dernièrement, qu’il fallait que j’appelle mes parents. Une pensée de deux secondes, autrement banale. Le temps d’ouvrir le rideau, je me suis rappelé que mon père était décédé.
C’est une drôle d’affaire, le deuil. Ça fluctue, on l’intègre à moitié, à certains moments juste au quart, ou pas du tout. Mais le temps finit par se replier, comme un éventail, si efficacement qu’on se dit qu’on n’a pas eu de nouvelles dernièrement, alors que ça fait plus de trois ans.
Le temps fait son travail de temps par en arrière aussi. Lentement, il efface les dernières images, celles qu’on n’aurait jamais voulu voir, d’une personne qu’on aime, sans vie sur une civière autour de minuit, sa main froide dans la nôtre timide, les rôles inversés, et son visage soudainement exempt de tout ce qu’on connaissait d’elle. Il efface un père à bout de souffle, les derniers mois d’une maladie qui tue par plateaux et dont on n’avait jamais entendu le nom. Un automne, il choisit enfin de nous souffler que les souvenirs qui font du bien, en rafale : des bras forts, des jeux de mots, un calme immense qu’on aimerait porter en soi tout le temps. La chance qu’on a eue.
J’essaie de faire le décompte de ce que j’aurais à lui dire, de tout ce qu’il ne sait plus, et j’ai un grand bruit blanc dans la tête. On a beau ne croire en rien, on n’arrive pas à faire cette liste, parce qu’il y a cette certitude qui nous surprend, toute athée qu’on est, celle qu’on ne porte pas en nous ce calme distinctif qui nous manque tant, mais bien la personne au complet.