Candle in the Wind en boucle

Ce matin, j’ai croisé un homme qui jouait des castagnettes en marchant. Ses noeuds étaient trop serrés, ça n’aidait pas du tout son jeu, ni son son, et j’ai eu envie de lui dire, même pas pour faire ma smatte. Or, quand il est arrivé à ma hauteur, j’ai vu qu’il ne s’agissait pas d’un néophyte qui pratiquait sa technique, mais simplement d’un barbu qui jouait des castagnettes en marchant, tel que décrit dans ma première phrase. That’s it. Des fois, c’est bon de se fier à sa première impression et d’en rester là.

Vendredi, j’étais debout dans le wagon de métro, accotée contre les portes du fond. J’aime ça, m’accoter contre les portes du fond : j’y ai une bonne vue sur la situation, et si tout le monde se comporte bien autour du poteau et gère adéquatement son volume dans l’espace, personne ne me touche.

Quand tout le monde est sorti à Berri, j’ai vu que la madame assise à ma droite était penchée sur un travail de petit point. Enfin, j’écris madame, mais ce n’est pas tout à fait juste, parce que je me suis d’abord dit que cette personne était beaucoup trop jeune pour s’adonner à cette forme de loisir. Puis, j’écris petit point, mais j’en sais rien, c’était peut-être de la broderie, ou du point de croix; je ne suis pas versée dans cette sphère de l’artisanat.

Mais quelqu’un qui pique un bout de tissu coincé dans un support rond, je n’avais pas vu ça depuis les années 80, du temps où, dans ma petite ville, on pouvait s’inscrire à des cours de glaçure ou de gravure au burin. La belle époque, quoi. Bref, c’est à l’extrême gauche sur le spectre de la hipness. Oui, je sais que le tricot a gagné la même bataille haut la main, mais je ne vois pas comment le point de croix pourrait faire, lui aussi, un retour marqué. C’est pas comme s’il y avait en ce moment en design une demande accrue pour les serviettes de table brodées à la main. Anyway, je digresse pas mal. La conclusion de ce paragraphe trop long, c’est que cette personne était très concentrée et semblait n’avoir aucune gêne à travailler un chrysanthème sur un bout de tissu lilas.

J’arrive à ce que je veux dire.

Il y a quelques années, je jasais d’art avec un ami venu me visiter à New York. Je sortais de l’université, j’avais les oreilles, la tête et le coeur pleins de musique dite intelligente, je côtoyais des musiciens que j’admirais, des monstres du jazz qui m’émerveillaient et m’allumaient. Cette musique touchait et touche encore mon âme pour vrai, profondément. Mais c’était difficile d’admettre que des trucs plus simples, parfois même pas très bons, m’émouvaient aussi. Pourtant, qu’est-ce que cet aveu aurait révélé à mon sujet? Rien d’autre que ma confiance en moi. L’ami a lancé « C’est tellement con de nier ses goûts ». J’ai vu mon père, assis sur le divan du sous-sol, les yeux fermés, bercé par Candle in the Wind qui lui jouait en boucle dans les oreilles.

C’est effectivement, indéniablement, vraiment con. C’est tellement évident comme affaire que je suis gênée d’écrire que je l’ai réalisé à 26 ans et que j’ai mis un petit moment avant de m’engager dans cette voie pour vrai. Parfois, on reçoit au-dessus d’une table des petites vérités qui s’avèrent immenses pour la suite des choses. Je suis maintenant très à l’aise avec le fait que vous jugiez mes goûts, mais le deal c’est que je juge les vôtres aussi. Tout le monde est content.

Ceci étant dit, c’est sûr que pour certains, ne pas nier ses goûts c’est aussi accepter de demeurer célibataire. Aménager chez soi une petite salle de montre pour ses cloches en porcelaine, j’imagine que ça peut éloigner les soupirants. En même temps, qu’est-ce que j’en sais? C’est pas pire que ma collection de macarons pinés sur des feutrines.

(C’est pas vrai, j’ai juste un macaron, et il est de très bon goût.)

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