Réflexions

J’étais debout au-dessus d’une madame aux cheveux calico qui grignotait une pomme verte comme si c’était la fesse d’un pompier de calendrier. J’étais encore coupable de construire un personnage en me basant sur une coupe de cheveux, mais je doutais qu’elle préférait, comme moi, l’uniforme des livreurs de UPS.

Je fixais le mur qui glissait de l’autre côté des rails. Sherbrooke. Sherbrooke. Sherbrooke. Quand on a atteint notre vitesse et que je n’ai plus réussi à lire le nom, on a croisé le métro qui roulait en sens inverse. Mon reflet dans la vitre juste devant est resté immobile, mais sur les fenêtres de l’autre train il s’est mis à danser.
 Un principe que je ne comprenais pas, parce que je n’ai jamais vraiment réussi un examen de physique de façon totalement honnête. (Allo maman)

Fidèle à moi-même, j’ai plutôt cherché la métaphore, comme si, le temps de la ligne orange, j’allais être frappée par une grande vérité sur le sens de la vie. En même temps, plus on s’ouvre aux images, moins on en finit de s’étonner du nombre de miroirs autour de nous.

Je me regardais danser sur l’autre train en me demandant si l’allégorie n’était pas dans le décalage entre ce qu’on croit projeter et ce que les autres voient réellement. Ou encore dans l’impression qu’on a parfois d’être immuable malgré le temps qui roule d’une station à l’autre. Y’avait une couple de parallèles à faire, et j’allais sûrement trouver l’angle avant d’arriver à Jean-Talon. J’ai repensé à une citation de Kurt Vonnegut que j’avais voulu partager récemment : We are what we pretend to be, so we must be careful about what we pretend to be. J’ai choisi de laisser un auteur beaucoup plus brillant que moi expliquer ma première hypothèse, et je me suis penchée sur la deuxième.

Est-ce qu’on n’a pas souvent la certitude d’avoir la même tête depuis tout le temps, alors qu’au-dessus d’un café, face à nos versions moins finies, on s’empresserait de demander l’addition? Dans ce cas, qu’est-ce que je conseillerais à la personne que j’étais il y a deux décennies? Pas grand-chose, à part peut-être de ne pas manger de Wendy’s avant d’aller voir Velvet Goldmine à l’Égyptien en 98, à moins de vraiment tenir à vivre un violent empoisonnement alimentaire et se vider dans une bassine pendant toute une nuit à l’urgence de l’hôpital Général.

Je me suis dit qu’empêcher notre tête de débutant de faire les erreurs à suivre ne mènerait pas à qui on est aujourd’hui — en supposant qu’on est en paix avec ce qu’on est, et qu’on n’écrit pas un billet de blogue assis à la bibliothèque d’une prison des Laurentides. C’est correct d’aimer son chemin. Même les carrefours où on aurait dû choisir l’autre droite, ou ceux où on s’est fait rentrer solide dans l’aile. Les autoroutes à huit voies sur lesquelles on s’est embarqué par erreur, mais où on a roulé en malade avec le toit ouvert en blastant Queens of the Stone Age avec le feeling immense d’être immortel. Ou les mauvaises sorties desquelles on garde au moins un souvenir de paysages presque beaux à brailler. C’est correct de ne pas vouloir aller valser du côté des regrets, même si c’est juste sur une vitre de wagon de train.

J’étais là dans mes pensées, dans les clichés jusqu’aux écouteurs, tandis que l’homme à côté de moi tournait les pages de La Presse avec arrogance et l’air de se dire que le mot « commun » dans « transport en commun » était superflu. Mes cheveux servaient d’accotoir à la section Sports et aussitôt que j’aurais du réseau, j’appellerais 1997 pour qu’elle revienne chercher son passager mésadapté. Parce que quissé qui se déplie encore le gros journal rectangle debout contre un poteau? Avant de le renvoyer dans le passé, je lui demanderais ce qu’il pensait de cette citation élimée sur l’importance du voyage et non de la destination. Juste pour voir s’il gagnerait des points là, ou encore le droit de rester en 2014.

Jean-Talon. Jean-Talon. Jean-Talon. Comme le voyage était moyennement plaisant, moi je faisais mentir le dicton : je visais ma destination et un verre de vin pour reposer ma section Vivre. J’ai accroché le regard de la femme à ma gauche pendant que je fixais le mur à travers son reflet, qui s’est mis à bouger quand on a croisé à nouveau un métro. Parce qu’elle m’a souri, je lui ai souhaité que sa réflexion à elle ne s’agite pas non plus dans le regret et je suis sortie en accrochant le journal du monsieur par exprès.