Se transporter en commun, acte 1

Mon premier choc culturel à New York fut dans le métro.

Je savais que les side shows s’y comptent chaque jour sur les doigts d’une centaine de mains, et j’ai été servie : la fois où un homme en sous-vêtements et sandales Teva s’est assis devant moi, dans le A; le monsieur très sérieux vêtu d’un manteau fait en toutous; l’employé de Verizon qui a menacé un passager pendant 20 longues minutes avec un tournevis, en chantant un hit de R ‘n B dans son outil; l’homme d’affaires qui vomissait nonchalamment sur ses propres souliers ce qui avait vraisemblablement été un drink rose – qui sentait par ailleurs très bon – et la petite coulée très liquide que tout le monde essayait d’éviter avec style, en continuant à lire; la fois où on s’est rendus jusqu’à Far Rockaway et que des policiers cachés derrière des poteaux, en position de tirer, nous ont fait signe de circuler en disant « chut »; le policier noir de 7’2 au cou décoré d’une bonne cinquantaine de gros colliers gold, sorti très lentement d’un wagon de train de service, scène à laquelle il ne manquait que le thème de Shaft. J’en passe, surtout parce que j’en oublie, le quotidien dans le métro de New York étant ponctué d’événements qu’on finit par ne plus remarquer, comme les tralées de rats obèses qui passent à quelques pouces de nos orteils.

Mais le choc culturel n’a rien à voir avec ce qu’on croise sous le pavé des avenues. Le choc, c’est de constater que dans le métro new-yorkais, on fixe le sol. Probablement parce qu’on risque de croiser le regard d’un homme en sous-vêtements et en sandales, et qu’un barbu en bobettes dans un transport en commun n’est pas un homme avec qui on devrait faire un eye contact. Pendant des semaines, j’ai cherché les regards, jusqu’à ce que je croise ceux des fameux mariachis, qui se sont empressés de venir me jouer leurs hits de la 145e rue jusqu’au Lincoln Center. Cucurrucucu, quelqu’un? Quand je pense au monsieur qui s’est fait attaquer à la station de la 110e rue et Broadway par un homme qui avait volé deux scies électriques à des ouvriers, je me dis qu’une leçon de vie servie par des musiciens mexicains, c’est pas mal correct. Mais, no mas.

À Montréal, on se regarde plus franchement. On se détaille. Parfois, même, on se sourit, et ce sans craindre d’avoir lancé sans le vouloir une invitation silencieuse à un sociopathe. Hier, encore prise dans un wagon trop plein, à crier dans ma tête alors que la voix de Ti-Brin me rappelait pour la cinquième fois cette semaine que la STM me remercie de ma compréhension, j’ai eu envie de dire à mon voisin de se calmer. Pas dans ces mots-là, non, plutôt comme ça : « Eille, tabarnak. » Quand ton manteau prend déjà la place de deux personnes, tu fais l’effort de limiter tes mouvements. Sauf quand tu es mon voisin de wagon d’hier, qui trépignait à chaque arrêt, en se penchant vers la gauche et la droite pour regarder par les fenêtres, d’un coup quelqu’un viendrait nous annoncer, avec un porte-voix et en nous prenant la main, la raison exacte du retard.

À Mont-Royal, sur le point d’imploser, il est finalement sorti, laissant dans son sillage une plume blanche évadée de son gros manteau. Ladite plume a virevolté quelques secondes, puis fait du surplace devant ma face, pour enfin aller se poser, bien sûr, dans mes cheveux. J’ai levé les yeux jusqu’à les faire entrer dans ma tête et je l’ai repérée, tout près de ma tempe. Je l’ai attrapée et l’ai relancée dans les airs, avec le style désinvolte appris à New York. Elle a volé quelques secondes pour, bien sûr, revenir se poser sur ma tête.

Hell non! Je n’allais pas être cette personne qui se donne en spectacle en se battant contre une abeille ou un sac de plastique qui lui vole dans les jarrets! J’ai croisé le regard d’une fille à quelques pieds de moi; elle m’observait depuis quelques secondes et a souri. J’ai ri, elle a ri, et la madame devant moi – qui m’énervait aussi parce que j’avais le menton dans sa permanente depuis Place-d’Armes – a lancé, dans un grand rire gras, « Coudonc! Y’a-tu un oiseau dans le wagon? » Le projecteur était maintenant sur elle. Fi-ou.

En même temps, si un monsieur peut se balader en manteau de toutous à New York sans faire sourciller, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas me promener avec une plume Canada Goose dans les cheveux à Montréal. Je pense que mon honneur est sauf. Et en plus, les gens me regardent en souriant.