Les scènes sans spectateurs

Il vient un temps où il est bon de conclure qu’un sous-vêtement a dûment rempli sa mission de sous-vêtement. Ce matin-là, en enfilant le mien, j’ai remarqué que seuls deux fils le tenaient encore en un morceau; il aurait suffi d’un rien et le côté se serait décousu. Il n’y aurait pas eu de drame, mais le commando forcé en milieu de journée, au travail, c’est ordinaire. J’ai jeté la chose à la poubelle et noué le sac, que j’ai laissé sur le trottoir vendredi matin.

Dimanche, en rentrant chez moi, j’ai vu ladite culotte aplatie sur le trottoir, devant mon escalier. Un chat avait sûrement fouillé mes poubelles à la recherche de ce que j’avais encore laissé vieillir dans mon frigo, mais je ne comprenais pas pourquoi, du saccage, il ne restait que ça. Enfin, peut-être que l’éboueur s’était dit No way que je ramasse une bobette, et on ne saurait le blâmer, même si elle était propre et très jolie. Bref, j’aurais aimé avoir un témoin, et il me semble que l’ensemble aurait fait une bonne scène de film, peut-être sous forme de montage dans une comédie romantique, ou de plan-séquence scandinave très deep. Dans la première option, j’aurais eu les cheveux détachés, et dans la seconde, une tresse française. Je suis rentrée en replaçant une mèche derrière mon oreille et en me demandant si je devais ramasser le bout de tissu ou s’il faisait maintenant partie du domaine public. Gros plan sur la petite culotte, et fin.

Le soir, j’ai couru sous l’orage en souriant, les espadrilles pleines d’eau, les shorts collés à la peau. Le genre de moment qui nous semblerait encore plus fort si on avait des témoins, comme si on n’arrivait pas toujours à se satisfaire pleinement d’une expérience à moins de la partager.

J’ai beaucoup d’admiration pour les vrais solitaires, ceux qui se réjouissent sans compagnie, à tout moment. Pas parce que la solitude me pèse quand elle se pointe, juste parce que vivre dans cet état constant demande une aptitude au bonheur et un contentement que je ne saisis pas tout à fait.

Au retour de ma course, la tête vide, j’ai décroché un cadre que j’avais aimé. Les deux pieds dans la flaque d’eau laissée par mes vêtements, je l’ai glissé entre deux meubles, en attendant de le jeter. Ça aurait fait une scène ça aussi, pour la symbolique du geste. Mais la vie c’est pas un film. Je me suis assise sur le lit et j’ai fixé le bout de mur redevenu blanc, comme un générique.